Dakota - When in doubt, go to the library

Certains pensent que Dakota est timide mais ils se trompent, elle est réservée et a peu confiance en elle mais aller vers les autres ne lui fait pas peur. Après tout, c’est une partie de son travail que d’accueillir les visiteurs et de les aider en cas de besoin. C’est vrai qu’en groupe, elle a tendance à se faire oublier et à rester discrète mais c’est parce qu’elle est mal à l’aise avec le monde et qu’elle a du mal à trouver sa place. Ce qui ne l’empêche pas de dire ce qu’elle pense ou de prendre la défense de certaines personnes en cas de problème. Parce que Dakota est une jeune femme très droite, qui supporte difficilement les injustices. Ayant été elle-même une victime, elle sait ce que ça fait et préfère éviter ça aux autres quand elle le peut. C’est vrai qu’elle ne paye pas de mine quand on la voit, mais quand on a passé son adolescence à tenir tête à un thérian ours kodiak ancien patron d’une grande organisation criminelle, on n’a pas froid aux yeux. Alors bien sûr, ça, elle ne le dit pas, mais son passé pas toujours facile a forgé son caractère et il lui a fallu du temps pour faire de certaines de ses fêlures une force.

Malheureusement, elle n’est pas parvenue à toutes les transformer en force. Des fêlures, Dakota en a plein : elle n’a pas confiance en elle, elle n’aime pas son physique, elle se sent la plupart du temps inutile, elle n’ose pas se confier de peur de devenir une déception. Une déception… Pendant des années, elle a eu l’impression que c’était ce qu’elle était : une déception pour son père, pour ses camarades de classe, pour son entourage, pour son premier petit ami, pour ses amis de l’université… Encore et toujours une déception. Si aujourd’hui, elle fait des efforts pour aller de l’avant et laisser ses insécurités derrière elle, elle a encore du mal, parfois ses vieux démons reviennent au galop, mais elle persévère malgré tout, parce qu’elle a la volonté de changer tout ça. Ou du moins, une partie de tout ça.

Heureusement, elle n’est pas seule dans cette épreuve, puisque ses proches sont là pour elle. C’est d’ailleurs pour eux qu’elle s’est décidée à faire des efforts. Parce que ses proches, Dakota les aime et elle est prête à beaucoup de choses pour eux. Elle est loyale Dakota, et très douce et patiente avec son entourage - même si son père a fait exception pendant des années - mais parfois, il est nécessaire de lui rappeler qu’elle n’est pas seule et qu’elle a des gens sur qui compter. Ces personnes ont d’ailleurs été là après son enlèvement. Son enlèvement… Elle aimerait croire que ça n’a rien changé, qu’elle est restée la même qu’avant, mais c’est faux et personne n’est dupe là-dessus. Si Dakota a toujours été une demoiselle casanière, c’est devenu pire maintenant puisqu’elle a parfois peur de sortir de chez elle, surtout le soir. Son sommeil est devenu plus agité aussi, puisque des cauchemars viennent la tourmenter, du coup, elle est plus facilement irritable par moment et moins indulgente envers certaines personnes. La seule chose positive qui a découlé de tout ça, c’est qu’elle a pu faire la paix avec son père.

Dakota a grandi dans une meute d’ours, en ayant conscience qu’elle était différente des autres. Forcément, cette différence, elle l’a sentie, elle ne suivait pas les cours spéciaux avec ses camarades de classe, elle ne participait pas à la plupart de leur jeux et en plus, elle était assez renfermée pour son âge. Pas l’idéal pour s’intégrer donc. Ajouté à cela l’indifférence de son père, la petite fille s’est rapidement mis en tête que ce dernier ne l’aimait pas parce qu’elle était différente. Pendant des années, elle l’a détestée sa condition de sans-pouvoir, parce que ça faisait d’elle la curiosité du groupe. D’un autre côté, c’était bien pratique de se cacher derrière pour justifier les problèmes qu’elle rencontrait : elle ne se faisait pas d’amis parce qu’elle n’était pas comme les autres, son père ne l’aimait pas parce qu’elle n’était pas comme les autres…

En arrivant à Chesscross, elle a arrêté de se cacher derrière tout ça, ayant juste honte de n’avoir aucun don. Elle était émerveillée et jalousait un peu les gens qui l’entouraient, que ce soit les thérians qui trouvaient presque une seconde famille dans leur meute, les élémentaires qui faisaient des choses fantastiques avec leur don, les métas qui étaient uniques sans l’être… Elle se retrouvait un peu plus dans les mages qui n’avaient pas de don “visible”. Petit à petit, elle a appris à laisser derrière elle toutes ses insécurités dues à son absence de pouvoir pour juste assumer ce qu’elle était. Elle n’avait peut-être pas de pouvoir, mais ça ne voulait pas dire qu’elle valait moins que les autres !

Assise sur son lit, dans une chambre qui est toujours la sienne dans la maison de son père, Dakota caresse du bout des doigts la couverture marron, un peu abîmée, de l’album sur le dessus de la pile qui l’attend. Elle ne s’attendait pas à tomber sur ça en errant chez son père, elle était persuadée que sa mère les avait récupérés, apparemment elle se trompait. Elle hésite à les ouvrir, se mordillant le pouce tout en jetant des coups d'œil à répétition à ces albums photos qu’elle n’a pas regardé depuis des années et certains qu’elle n’a même jamais ouvert. Elle a peur de l’impact que ça aura sur elle, parce qu’elle a conscience d’être plus sensible depuis quelques jours, depuis qu’elle est revenue dans cette maison où elle se sent en sécurité. Au bout de quelques minutes, elle écarte le premier, celui qui retrace la vie de son père et de ses deux grands-mères dont elle n’a appris l’existence que quelques jours plus tôt. Cet album, elle l’a un peu parcouru en compagnie de son père, alors pour le moment, ce sont les autres qui l’intéressent.

En ouvrant l’album, elle tombe en premier lieu sur une photo de sa mère enceinte, qui lui tire un sourire. Elle n’a jamais eu l’occasion de la voir ainsi, mais elle est rayonnante. En observant la photo, Dakota ne peut s’empêcher de se demander si ses parents n’auraient pas voulu avoir un deuxième enfant, un thérian comme eux… Elle a beau avoir posé la question à son père la veille, elle a beau savoir que non, ça ne leur a pas spécialement manqué, une part d’elle s’interroge toujours. En tournant la page, elle tombe sur plusieurs échographies qui attirent à peine son attention puisqu’à côté se trouve ce qu’elle devine être la première photo d’elle qui a été prise. Son cœur se serre en voyant ce cliché qui la représente dans les bras de son père… Elle est surprise parce qu’elle a toujours pensé que son père n’avait pas pris la peine de venir assister à sa naissance. A tort apparemment. Du bout des doigts, elle caresse le cliché, peinant à réaliser qu’Ashton Calvin a laissé tomber son boulot pour elle… Si seulement il avait continué par la suite, ils n’en seraient pas là aujourd’hui.

Les photos défilent sous ses yeux au fur et à mesure qu’elle tourne les pages. Elle se voit grandir, sourire à la personne qui prend la photo, avancer à quatre pattes sur l’ancien tapis de leur ancienne maison, faire ses premiers pas, la main dans celle de son père, des balades avec ses parents, à l’extérieur, parfois sur le dos d’un ours avec un bonnet à oreilles d’ours sur la tête. Sur toutes ces photos, elle a l’air heureuse, l’insouciance de la petite enfance… Elle s’arrête un instant sur une photo d’elle, avec le fameux bonnet, une écharpe en laine nouée autour du cou et installée sur le dos de son père en ours. Elle n’a aucun souvenir de cet instant, si bien qu’elle pourrait presque croire qu’il s’agit d’une autre petite fille sur le cliché. A l’époque, son père avait encore un peu de temps à lui accorder apparemment. Qu’est-ce qui a changé après ? Question stupide, elle le sait bien : il est passé à la tête de son organisation criminelle. Et comme son boulot comptait plus que sa famille… Quand elle continue de tourner les pages, son père devient de moins en moins présent et les clichés commencent à lui évoquer des souvenirs. Des photos de classes, des sourires édentés, des anniversaires, Noël, certains sans son père d’ailleurs… Plus les années passent et moins la petite brune des photos semblent souriante et heureuse, l’éclat dans ses yeux disparaît petit à petit et Dakota en connaît très bien la raison : son absence de don, l’indifférence de son père, ce sentiment insidieux d’être une déception pour son entourage qui commençait à s’installer…

Arrive ensuite une série de photos, qui s’étale sur six longues années, où son père n’apparaît pas une seule fois. Paradoxalement, il y a plus de photos parce que sa mère en prenait pour en envoyer à son mari, en prison. Mais avant ça, il y a eu l’enquête, leur maison qui se faisait fouiller, son père qui a été emmené, les menottes aux poignets. Cette image, Dakota ne l’oubliera jamais tant elle l’a marquée. C’était la première fois qu’elle réalisait que son père n’était qu’un homme comme les autres, et pas cet être intouchable qu’elle s’était construit dans son monde enfantin. Il y a ensuite eu le procès, très médiatisé bien entendu, parce que c’était l’un des parrains du crime de Seattle qui se faisait juger. Cette période, Dakota l’a très mal vécue, parce qu’à l’école, on l’évitait, c’était la pestiférée dont le père avait fait des mauvaises choses. En toute logique, c’était sur sa fille de huit ans que tout ça reposait. Elle en voulait à son père pour ça, pour l’indifférence qu’elle avait rencontré avec violence, pour les jugements qu’elle avait subi, pour la solitude qu’elle avait ressentie et parce qu’il s’était fait prendre, tout simplement.

Six ans c’est long, très long, surtout quand on a huit ans. Pendant ces six ans, Dakota a changé, Dakota s’est renfermé, sur les photos, elle se voit se cacher de plus en plus derrière ses cheveux qui deviennent de plus en plus long, cacher son visage derrière la couverture d’un livre, porter des vêtements plus amples parce qu’elle commençait à complexer sur son corps. L’adolescence commençait à fleurir et elle s’éloignait de son père, se rapprochant de sa mère qui elle, avait toujours été là pour elle. Quand il est finalement sorti, Dakota ne s’est pas réjouie, à l’époque, elle aurait préféré qu’il y reste, en prison, plutôt que de revenir et d’essayer de faire comme si rien ne s’était passé. Elle avait vu son père se faire enfermer mais elle retrouvait un étranger. Bien sûr, il a essayé de nouer le contact avec elle, mais il ne s’est heurté qu’à la colère d’une adolescente mal dans sa peau qui rejetait tout sur lui. Avec le recul, elle sait que ce n’était pas la bonne chose à faire, mais à l’époque, c’était plus simple pour elle.

Elle referme l’album, le cœur lourd, avant d’attraper le suivant, celui qui marque le début de leur nouvelle vie : leur déménagement à Chesscross. Ce déménagement, elle était contre, elle n’avait pas envie de quitter sa maison, la ville dans laquelle elle avait toujours vécu juste pour que ses parents prennent un nouveau départ. Pourtant, quand son père a été envoyé en prison, elle ne demandait que ça : partir, mais pas là alors qu’ils le faisaient pour lui. C’était peut-être sa mère qui se faisait muter à Chesscross, elle savait que c’était pour Ashton qu’ils quittaient Seattle. L’album s’ouvre sur une photo d’eux trois devant leur nouvelle maison en pleine forêt, et sur le cliché, elle a le regard fuyant, elle se positionne en retrait et se cache dans un immense pull en laine. Arrivée dans une nouvelle ville, une nouvelle meute, un nouveau lycée, ça n’a pas été simple pour elle, même si c’est à Chesscross qu’elle a appris à assumer son absence de don.

Malgré ça, elle ne s’est pas vraiment faite à cette ville, peut-être parce que la situation avec son père ne s’arrangeait pas. Il avait beau avoir arrêté ses conneries, il passait toujours beaucoup de temps à travailler et ils ne parvenaient plus qu’à communiquer par cris. L’air de rien, cette période de sa vie lui a permis de prendre en assurance, parce qu’il faut un sacré paquet de nerfs - ou de rancœur - pour oser se confronter à Ashton Calvin. Sauf que les cris, ça ne lui faisait plus rien à Dakota, elle préférait ça à l’indifférence. Ce qui ne l’a pas empêchée de partir loin, à l’autre bout du continent, pour l’université. Elle a ressenti ce besoin de s’éloigner, de prendre du recul et de se prouver qu’elle pouvait exister sans son père. Bien sûr, ce dernier a été contre, mais comme elle a eu le soutien de sa mère, elle a pu partir étudier à Yale.

Elle est restée là-bas pendant quatre ans, si bien qu’elle apparaît peu sur les photos des albums de ses parents, même si sa mère a pris la peine d’imprimer quelques clichés qu’elle lui a envoyés. Il y a aussi quelques photos de ses retours à Chesscross ou encore de cette visite désastreuse de ses parents à New-York, mais qu’importe, là-bas, elle a découvert l’indépendance et elle y a pris goût. Elle a dû apprendre à sortir de sa carapace et à aller vers les autres, ce qui lui a fait un bien fou. Puis bien sûr, il y a eu Spencer, qu’elle a rencontré lors de sa deuxième année d’études mais ils ne se sont rapprochés que pendant la troisième. Être avec Spencer, c’était différent, c’était se sentir importante, entourée, faire partie d’un groupe d’amis plus large, ne plus manger seule au réfectoire. C’était aussi ses crises de colère, la culpabilité quand elle l’énervait, le retour de cette sensation d’être une déception ambulante, c’était essayer de se faire pardonner, c’était s’excuser, toujours elle, jamais lui, c’était du chantage aussi parfois et des réflexions violentes qui aujourd’hui encore ont laissé une marque. Quand il a fini par la quitter - comme une vulgaire chaussette - il a été jusqu’à lui dire qu’elle ne retrouverait jamais un homme qui la supporterait comme lui il l’avait fait. Charmant hein ? Elle n’était pas surprise de ne pas trouver de trace de lui dans l’album. Forcément, après ça, la fin de ses études a été moins épanouissante, mais elle a quand même obtenu son diplôme avec mention, puis elle est rentrée à Chesscross.

Ce n’était pas vraiment dans ses plans, à la base, mais elle a quand même envoyé sa candidature à la bibliothèque de la ville, un peu comme ça, comme elle l’a fait pour d’autres villes, sauf que c’est là-bas qu’elle a été retenue, dans le rayon jeunesse en plus, pile ce qu’elle voulait. Bien entendu qu’elle n’a pas fait la fine bouche et qu’elle est rentrée ! Pour le plus grand bonheur de sa mère, et probablement de son père, maintenant qu’elle y pense. Pour fêter son diplôme, ses parents lui ont acheté une maison et elle s’est installée. Rapidement, elle a retrouvé une routine qui lui convenait, avec un travail qu’elle adorait et les choses auraient pu en rester là, mais ça n’a pas été le cas. La situation avec son père ne s’est pas miraculeusement arrangée après quatre ans loin de l’autre parce que le problème restait le même : ils ne savaient pas communiquer.

L’an passé, ses parents avaient divorcé, brisant ses illusions, elle qui pensait leur couple plus solide qu’un roc. Pour le coup, c’était à sa mère qu’elle en avait voulu, parce que c’était elle qui avait trouvé un autre homme et qui était tombée amoureuse mais… ça n’avait pas duré longtemps, parce qu’au final, ce qu’elle voulait, c’était qu’elle heureuse sa mère, et même si elle avait encore du mal avec son nouveau beau-père, tant pis. Ce qui l’a plus dérangée, c’est la situation avec son père qui s’est retrouvée au point mort, parce qu’ils n’avaient plus vraiment de raison de se voir. C’était pour sa mère que Dakota faisait des efforts, là, elle s’est juste retrouvée...perdue. Jusqu’à ce jour de mars 2021 où le passé de son père l’a rattrapée.

Ce jour-là, Dakota avait quitté la bibliothèque après avoir salué une de ses collègues mais elle n’était pas arrivée jusqu’à sa voiture, elle a perdu connaissance bien avant. Quand elle a repris ses esprits, elle a réalisé qu’elle était enfermée dans un endroit qu’elle ne connaissait pas et la peur s’est emparée d’elle. Elle a essayé de se débattre, de se défendre, de s’enfuir, mais tout ce qu’elle a récolté, c’est des coups et des bribes d’informations. Si elle était là, c’est parce qu’un mafieux voulait se venger de son père, plus de quinze ans après qu’il a fini en prison. Honnêtement, elle a cru qu’elle ne sortirait pas vivante de là, mais si, son père est venu la récupérer après 48 heures de séquestration, mais il est venu.

Jamais Dakota n’a été aussi heureuse de voir son père que ce jour-là. Contre toute attente, il ne s’est pas contenté de la sortir de là, il l’a également amené se faire soigner et lui a proposé de rester chez lui, pour sa sécurité, et elle ne s’est pas fait prier pour accepter. Elle y est toujours d’ailleurs, alors que ça fait plus d’une semaine qu’elle est sortie de ce cauchemar. Bien sûr, elle dort mal, ses nuits sont agitées et les bruits trop fort la font sursauter, mais physiquement, elle va bien. D’après le médecin, il lui faudra du temps pour se remettre de ce traumatisme, alors pour le moment, elle se raccroche au positif. Au moins, elle a pu parler avec son père, mettre les choses à plat et commencer à recoller les morceaux d’une relation en lambeaux. C’est vrai, ça a été douloureux et éprouvant comme conversation, mais finalement, ça valait le coup.

Elle referme le dernier album, auquel il reste de nombreuses pages vierges qu’elle se promet de remplir, peut-être même avec Ashton, et essuie ses yeux humides. Elle savait bien que ressasser tout ça lui mettrait les nerfs en pelotes mais ça lui a fait du bien. Elle se lève et pose la pile d’albums sur le bureau de sa chambre d’ado avant de quitter la pièce pour retrouver son père. Elle ne met pas longtemps à mettre la main dessus puisqu’il est dans son bureau, comme elle s’y attendait. Elle hésite un peu avant d’entrer mais elle avance d’un pas et lui propose timidement de prendre une pause goûter avec elle. C’est vrai qu’elle manque d’assurance, qu’elle n’est pas sûre de ce que deviendra cette relation fragile qu’ils développent tous les deux quand elle retournera chez elle, mais elle a décidé d’avancer. Un pas après l’autre, ça lui semble être un bon début.