We don't have to dance ~ Hanaelle

We don't have to dance

Ashton & Hanaelle

__________________

Le nez plongé dans une pile de documents, signant à intervalles réguliers, Ashton jette un coup d'œil à l’heure qui s’affiche sur son écran d’ordinateur. Il est bientôt vingt et une heures. Malgré l’immense baie vitrée de son bureau, la lumière se fait de plus en plus déclinante. Il n’y a presque plus personne dans les locaux, mais même s’il préfère en général rentrer chez lui pour terminer ses dossiers, ce n’est pas la première fois, et sûrement pas la dernière, qu’il reste aussi tard. Il a presque terminé la pile sur laquelle il bûche quand son téléphone portable sonne. Enfin. Il n’attend pas une seconde pour décrocher et aussitôt, la voix d’Hallan, son bras droit, retentit dans le combiné.

- Ils viennent d’arriver.
- Parfait.
- S’ils bougent pas, ils seront dans la salle principale. Je te tiens au courant.
- Hm.

Il ne précise rien d’autre avant de raccrocher. Il n’en a pas besoin. Il range rapidement ses documents, se lève et verrouille son bureau avant de rejoindre sa voiture. Normalement, dans quelques jours, il pourra enfin clôturer ce dossier éprouvant. Lorsque sa fille a été kidnappée, il ne lui a pas fallu longtemps pour mettre la main sur les ravisseurs et leur infliger le sort qu’ils méritaient. Si Dakota en est sortie indemne, il n’est pas dupe. Il sait qu’il faudra un certain temps pour qu’elle se remette. Cette histoire les a certes rapprochés, mais il aurait préféré qu’elle ne soit pas mêlée aux réminiscences de son passé houleux. Le simple fait de penser à tout ça le crispe de colère. Ses mains s'agrippent au volant tandis que ses muscles se tendent dangereusement sous sa chemise. Il ne permet à personne de s’en prendre à sa petite Kitty. Ceux qui la touchent subissent les conséquences de leurs actes, c’est aussi simple que ça. Or, un des criminels qui a participé à son rapt a pu s’échapper. Il le cherche, depuis. C’est un petit malin. Il se montre prudent. Très prudent. Mais pas assez. Contrairement aux apparences, Ashton aussi sait faire preuve de patience. Il a attendu. Attendu jusqu’à ce que Wang Tao fasse un faux-pas… et à présent que c’est le cas, il ne compte pas le rater. Si tout se passe bien, ce soir, il saura sa cachette. Et Dakota pourra être vengée, à défaut de dormir en paix. Les prochains qui voudront s’en prendre à lui seront avertis.

Il gare sa voiture sur le parking du casino de Chesscross, déjà bien rempli à cette heure-ci. Il claque la portière, s'engouffre dans l’immense hall sans un regard autour de lui, laissant les sens de son ours affleurer juste assez pour se maintenir en alerte et entre dans la salle principale. Un brouhaha de fond accompagne la lumière tamisée des lieux. De multiples tables occupent l’espace avec des zones délimitées et sur le côté, un bar en bois massif s’étale sur une bonne partie du mur. Il a à peine besoin d’y jeter un coup d'œil pour savoir qu’Hallan l’y attend. Il le rejoint en quelques larges foulées et son ami lui indique directement, d’un discret signe de tête, une table de poker un peu plus loin.

- Table onze. Le brun avec le costume clair et l’autre à côté, le petit. Les autres, c’est juste des clients lambda. Ils sont avec la blonde, mais elle a pas l’air impliquée.

Ashton laisse son regard tomber sur la table en question. En effet, une jeune femme est assise avec eux. Peu importe. Il acquiesce rapidement.

- Tu peux y aller. Je m’occupe du reste.

Hallan haussa un sourcil.

- Sûr ?
- Reeves me doit un service, si besoin.

Son bras droit hoche la tête et s’éloigne. Le P.-D.G. attend qu’il ait quitté la salle pour se mettre en mouvement et se diriger sans une hésitation vers les deux hommes qu’il vise. Il se plante devant et toise les clients qui ne l’intéressent pas. Ceux-ci relèvent la tête, certains pas très sûrs d’eux devant la montagne au visage fermé qui leur fait face et d’autres clairement mécontents. Avant que l’un d’eux puisse ouvrir la bouche, Ashton les coupe :

- Laissez-nous.

L’un des joueurs se redresse de toute sa stature pour paraître plus imposant - peine perdue quand son adversaire fait deux fois sa taille et sa largeur.

- Désolé monsieur, mais on est en plein mileu d’une p…

L’ours l’interrompt d’une main posée sur son épaule. Sa mâchoire se crispe légèrement tandis que son interlocuteur se fige et, de sa main libre, il prend les cartes que le client tenait pour les jeter sur la table.

- Plus maintenant, gronde-t-il en lui lançant un regard appuyé et menaçant.

L’homme ravale sa protestation et se lève pour filer, rapidement suivi par les autres. Restent assis les deux gars qu’Ashton veut voir… ainsi que la blonde.

- Toi aussi.

Après tout, il ne sait pas comment les choses vont tourner et en cas de problème, il préfère ne pas avoir le sort d’une civile entre les pattes.

Avril s’est terminé, enfin, et c’est franchement pas plus mal vu toutes les merdes que Hanaelle a cumulées pendant ce mois. Elle préfère ne pas y penser cela dit, c’est pas vraiment son genre de ressasser… Même si elle n’arrive pas à se sortir les propos que Daimon lui a envoyé en pleine figure trois jours plus tôt. Une fille paumée… Un morceau de viande… Elle a beau ne pas vouloir y penser, ces mots tournent en boucle dans son esprit, l’énervant tantôt ou lui donnant envie de vomir parfois. Elle n’est qu’un jouet, une marionnette, entre les mains des hommes qui veulent bien d’elle pour quelques heures, parfois une nuit, rarement plus. Elle a trente ans et déjà plus aucune valeur, quelle belle vie ! Sauf que voilà, avril est fini, mai ne peut pas être pire, une part d’elle refuse de le croire, mais la part la plus pessimiste - et plus présente aussi - sait qu’on peut toujours tomber plus bas. Qu’il y aura toujours pire et que parfois, remonter la pente, c’est compliqué.

Alors qu’elle est penchée par dessus le lavabo de sa salle de bain, à appliquer du mascara pour faire ressortir ses yeux, Hanaelle a cette pensée très lucide : peut-être qu’accepter cette invitation n’était pas la meilleure idée pour sortir de cette spirale infernale dans laquelle elle s’enfonce inéluctablement. Pourtant, quand sa collègue lui a proposé cette sortie au casino, avec son copain et des amis de ce dernier, la blonde n’a pas mis longtemps à lui dire non. En même temps, Courtney a tiré sur la corde sensible, à grand renfort de “je n’ai pas envie de me retrouver seule avec eux, je les connais pas, ça serait tellement mieux si tu venais aussi” et elle a fini par capituler. Elle se redresse, inspecte le résultat dans la glace et referme son tube de mascara. Oui, ça ira très bien. Un maquillage léger, juste ce qu’il faut pour faire ressortir ses yeux et un trait de rouge à lèvres. De toute façon, généralement, les hommes ne regardent pas vraiment son visage, ils sont plus attirés par son corps alors elle ne voit pas pourquoi elle perdrait du temps à faire trop d’efforts.

Elle quitte sa salle de bain pour enfiler une paire de ballerine et une veste bleue marine par-dessus sa robe d’été jaune - qui fait ressortir son teint bronzé. Il fait encore un peu frais pour sortir en robe mais Hanaelle s’en moque, elle ne devrait pas rester dehors très longtemps, juste le temps de monter dans la voiture de Courtney - qui lui a généreusement proposé de venir la chercher - puis d’aller jusqu’au casino. Là-bas, elle sait déjà qu’elle tombera dans une salle bien chauffée et qu’elle ne se souciera plus de la température. Puis, elle a de belles jambes alors autant les mettre en valeur.

Deux heures plus tard, Hanaelle se retrouve coincée à une table, avec les fameux potes du mec de Courtney, mais sa collègue et son Roméo - franchement con d’ailleurs - ont déserté les lieux depuis longtemps. En même temps, vu comment le Roméo en question - qui en fait s’appelle Kevin - n’arrêtait pas de la tripoter, pas étonnant qu’ils aient mis les voiles. Un peu plus et ils se retrouvaient à s’envoyer en l’air sur une table de poker. Pour la soirée sympa entre collègues qu’on lui avait vendu, on repassera. Pour le coup, Hanaelle serait bien rentrée elle aussi, parce qu’elle ne s’amuse pas autant qu’elle ne l’aurait cru, les casinos, c’est pas franchement son truc, et les gars qui l’accompagnent sont bien trop concentrés sur leur partie de cartes pour vraiment l’intéressée. Sauf qu’elle est venue avec Courtney et que là, elle se sent franchement conne d’avoir accepté qu’elles viennent ensemble. Alors elle reste collée à cette table parce que John lui a promis de la ramener chez elle. Sauf que pour l’instant, il est concentré sur sa partie et qu’elle se voit mal lui dire “bon tu me ramènes, j’en ai marre ?” surtout en sachant très bien qu’elle ne le laissera pas monter chez elle. Elle n’est pas d’humeur et ce type a l’air d’avoir des liens louches avec la mafia donc elle préfère se méfier - surtout après s’être fait droguée.

Elle pousse un nouveau soupir, plus ou moins discret, alors que le croupier retourne la dernière carte sur le tapis. La partie touche à sa fin, du moins elle l’espère, mais il commence à y avoir une sacré quantité d’argent en jeu sur cette table donc elle sait aussi que les hommes vont mettre du temps à se prononcer. Ils vont réfléchir, bluffer, miser, relancer, perdre du temps quoi. Tout ça parce que ce qui leur importe n’est pas de savoir qui a la meilleure main mais qui a la plus grosse paire de couilles. Bon, le fait qu’elle n’y connaisse pas grand-chose en jeux de cartes n’aide sûrement pas mais elle se fait chier, il ne faut pas trop lui en demander. Elle a envisagé, pendant presque une demi-heure, de quitter la table pour aller trouver un pigeon qui la ramènera mais elle n’est pas d’humeur alors elle prend son mal en patience.

Peu intéressée par ce qui se passe à la table de jeu, elle regarde plutôt autour d’elle, observant les clients du casino, quand elle remarque un homme qui se dirige d’un pas décidé vers leur table. Grand, brun, massif, tout en muscle, avec un visage fermé et une aura qui crie “DANGER”... Tout pour lui plaire. A tel point qu’un frisson parcourt le dos de la blonde quand le fameux type s’arrête à leur table. Tiens ? Peut-être que la partie va devenir intéressante s’il décide d’entrer en jeu. Ah, ou pas en fait… Il n’a pas l’air de vouloir jouer, plutôt d’avoir des comptes à régler. Ce qui n’a pas l’air de plaire à tout le monde vu que le chauve - elle ne connaît pas son prénom - se redresse sur son siège pour demander au nouveau venu de partir. Peine perdue vu que ce dernier ne se laisse pas faire. Hanaelle esquisse un petit sourire amusé qu’elle cache derrière sa main en voyant monsieur-muscles jetait le jeu du type sur la table pour mettre fin à la partie. En plus, il n’avait qu’une paire de deux ! C’était pas avec ça qu’il allait gagner. La table se vide de ses joueurs, à l’exception de John et de son pote louche. Le croupier reste bravement à sa place, même s’il n’a pas l’air d’en mener bien large. Monsieur-muscles se tourne alors vers elle pour lui demander de partir. Ah non hein, si elle part, elle va devoir se trouver un autre chauffeur pour rentrer !

- Non, répond-elle sur un ton égal en haussant les épaules. Je suis bien là.

Pour appuyer ses propos, elle récupère son verre de cocktail pour en boire une gorgée. Bon, elle est peut-être inconsciente de tenir tête à un type comme ça, qui dégage une telle aura de danger que même des types bossant pour la mafia se ratatinent sur leur siège, mais elle n’en a rien à faire. De toute façon, qu’est-ce qui pourrait lui arriver, hein ? Dans le pire des cas, il la tue, et au moins, elle n’aura plus de problèmes comme ça. Loin de se laisser démonter ou intimider, Hanaelle repose son verre sur la table sans quitter ce type des yeux. C’est plus fort qu’elle, elle le trouve magnétique et fascinant…

We don't have to dance

Ashton & Hanaelle

__________________

Alors que toutes les personnes qui ne sont pas concernées par la conversation à venir quittent la table, la blonde reste fermement assise. Vissant son regard dans celui d’Ashton, elle refuse de bouger. L’ours la toise une seconde, puis hausse les épaules. C’est son affaire. Si elle veut se retrouver prise au milieu d’histoires louches, grand bien lui fasse. Ça ne le regarde pas. Si les esprits s’échauffent et que les choses tournent mal, elle ne pourra s’en prendre qu’à elle-même. Il ignore délibérément son attitude de défi et s’installe sur une des chaises tout juste laissées vides. Il ne voit pas l’intérêt de s’éterniser plus sur la femme, il a des sujets plus importants à traiter.

L’un des deux hommes se renfonce dans son siège en croisant les bras, le fixant d’un air hostile tandis que l’autre le jauge plus prudemment. Ashton, lui, ne bronche pas. Ce n’est pas deux blancs becs qui vont l’impressionner, même s’ils ont une place confortable dans leur organisation. Il en a vu d’autres, des bien pires.

- Qu’est-ce que tu veux, Calvin ? attaque le premier, sur la défensive.

L’interpelé le dévisage une seconde. Il n’a jamais aimé tourner autour du pot, ça l‘agace plus qu’autre chose, de perdre du temps.

- Wang Tao, gronde-t-il donc pour toute réponse.

Les types échangent un regard. Il est sûr qu’ils s’y attendaient. En même temps, y’a pas trente-six personnes à Chesscross capables de localiser un ancien bras droit de la mafia chinoise, surtout quand celui-ci se planque. Vu le réseau qu’il possède, il pourrait très bien disparaitre pendant des années sans qu’il en entende plus parler. Il aurait passer l’éponge. Il aurait pu. Mais il ne le fera pas. Il a vu ce que ça donnait, la rancune. Elle peut te rejaillir à la gueule plus de dix ans plus tard, et pas de la meilleure des façons. Alors non. Il sera impitoyable. Tous ceux qui s’en sont pris à sa fille paieront cher, et Tao est en haut de la liste. Il a joué, il a perdu. A lui d’en payer le prix.

- Et pourquoi est-ce qu’on te ferait ce cadeau, hein ? fait le chauve. Ça pourrait nous retomber dessus. Déjà que notre boss était pas ravi d’apprendre ce qui était arrivé à Fei Long… Pas bon pour notre commerce, ça.

Ashton lui lance un regard agacé et l’atmosphère s’alourdit. Il n’aime pas vraiment qu’on essaie de le mener en bateau. Est-ce qu’il a l’air du genre à plaisanter ? Non. Est-ce qu’il a la tête du type crédule par définition ? Non plus. Du moins, pas aux dernières nouvelles. Alors qu’on le prenne pour un pigeon, clairement ça l’énerve. Ses muscles se crispent sous sa chemise, tendant le tissu, et ses yeux se teintent légèrement de noir.

- J’ai pas la patience pour votre cinéma, rétorque-t-il d’un ton rêche. Vu la place qu’il libère sur le marché, votre boss doit bien en profiter alors épargnez-moi vos bobards. Maintenant, si Tao se repointe demain pour récupérer ses parts, c’est vous que ça foutra dans la merde. Et si vous êtes pas convaincus, j’ai d’autres méthodes pour avoir ce que je veux, et elles vous plairont beaucoup moins.

A la fin de son discours, sa voix a baissé de deux tonalités, devenant proche du grondement sourd. Même si son ours n’affleure pas, il le sent tout proche de la surface, près à intervenir. L’air est électrique et les deux hommes le fixent toujours, tendus. Un silence pensant flotte entre eux. Mais il ne flottera pas longtemps. Ashton ne ment pas, quand il dit que la patience n’est pas son fort. Surtout quand Dakota est mêlée à ses histoires. S’il doit employer la manière forte, il aura aucun scrupule à le faire. Sans quitter les deux inconscients qui font de la résistance du regard, ses poings se serrent. Le chauve tique, se tourne vers son acolyte, hésite, hoche la tête.

- O.K., finit-il par lâcher.

Son poing se desserre légèrement. Juste ce qu’il faut pour montrer qu’il a compris, mais pas assez pour faire croire qu’il a relâché sa vigilance et qu’il est détendu. Il n’est jamais détendu quand il parle business. Il faudrait être un imbécile. Le mec ferme les yeux et se concentre. Quelques secondes plus tard, il les rouvre, sort un calepin de sa poche et griffonne dessus avant de lui tendre. Dessus, une simple adresse. L’ours l’attrape, y jette un coup d’œil et la glisse dans la poche de sa chemise. Il les toise une dernière fois et se lève sans un mot. Pas besoin de préciser ce qui se passera si le lieu indiqué est faux. De toute façon, ce qui fait peur dans les menaces, c’est pas l’avertissement en lui-même. C’est le résultat. Et le résultat, il y a sera, si besoin. Ouais. Il y sera. Avant de tourner les talons, il reporte son attention sur la fille. Il lui dirait bien qu’il lui déconseille leur compagnie, vu le respect qu’ils portent aux femmes, mais c’est pas à lui de la prendre par la main et ça le regarde pas. A la place, il se contente donc de lancer :

- A ta place, je perdrais pas ma soirée à leur tenir compagnie. Tu peux rester là ou prendre un verre avec moi, c’est toi qui vois.

Il sait pas trop pourquoi il lui propose ça. Les verres avec des femmes, c’est pas trop son truc. Si quelqu’un lui plait, il y va pas par quatre chemins. D’un autre côté, il vient peut-être de ruiner ses plans. Il peut bien faire ça. Puis elle a quelque chose, cette fille. Il verra bien. Il attend qu’elle se lève avant de s’éloigner pour aller se poster à la partie bar.

- Qu’est-ce que tu bois ?

Puisqu’elle a dû abandonner son verre, autant lui en offrir un autre.

Généralement, Hanaelle évite de faire dans la provocation, surtout quand la situation ne s’y prête pas, mais là, elle n’a pas pu résister. Elle n’a même pas cherché à le faire en fait. Elle se retrouve à tenir tête à un homme qui dégage clairement une aura de danger, un homme qui est tout en muscle et au moins deux fois plus large qu’elle, mais ça ne lui fait ni chaud ni froid. Ou plutôt, ça ne lui fait pas peur, parce qu’elle sent ce frisson familier d’excitation la parcourir alors qu’elle visse son regard dans le sien. Elle comprend alors pourquoi elle lui tient tête de cette manière : elle a envie que cet homme la remarque… mais il se contente de l’ignorer. Il ne réagit même pas à sa provocation, il se contente de détourner le regard et de s’installer sur une chaise laissée vide. Et Hanaelle se retrouve déçue, en le suivant des yeux. Déçue, et un peu frustrée.

Elle se retrouve donc à finir son verre cul sec, avant de le reposer un peu brusquement sur la table de jeu - mais tout le monde l’ignore alors elle s’en fiche. Enfin, elle aimerait se persuader qu’elle s’en fiche mais c’est pas vraiment le cas. Elle n’irait pas jusqu’à dire qu’elle a l’habitude d’avoir l’attention des hommes, ça serait clairement prétentieux et loin de la vérité, mais en général, elle ne les laisse pas forcément indifférent, il y a toujours au moins une réaction, même infime, qu’elle soit positive ou négative, elle ne se fait pas juste ignorer royalement comme ça par monsieur-muscles ! Mais là rien ! Niet ! Que dalle ! Alors que lui, il lui plaît bien ce brun sauvage ! A croire que le Karma se fout vraiment de sa gueule… Tant pis, elle se rabattra sur un des deux abrutis qui reste. Ou sur carrément quelqu’un d’autre, ça a l’air plus sage quand même de partir sur quelqu’un d’autre.

Les hostilités finissent par s’ouvrir entre les trois gros bras - même si ceux de monsieur-muscles sont les plus gros autour de cette table - et la blonde se dit que bon, peut-être que le nouvel arrivant à d’autres chats à fouetter plus urgents qu’elle. Enfin, façon de parler, parce qu’elle espère bien qu’il ne va pas se mettre à la fouetter ! Quoique… Non, ça doit être vachement douloureux quand même, elle préfère qu’il évite ! Elle oublie momentanément ses questions existentielles sur le masochisme quand le brun - Calvin si elle a bien tout suivi - gronde une réponse. Juste deux mots, un prénom chinois - ou un truc comme ça, elle y connaît rien elle - mais ça suffit pour sentir la menace qui est cachée derrière, la colère contenue aussi. Clairement, ce type, c’est pas n’importe qui ! Il est en train de faire flipper deux membres de la mafia, à lui tout seul, sans hausser le ton, juste en donnant un nom. Pourquoi est-ce qu’elle trouve ça sexy au juste ?! Ah...il leur fait peut-être pas si peur que ça puisque monsieur Propre se met à faire le malin. Il a pas d’instinct de survie ou quoi ce type ? Oui, oui, c’est elle qui dit ça, mais c’est un autre débat. En fait si, vu la façon dont il en mène pas large quand le brun-sexy lui lance un regard peu amène. Etant donné qu’elle ne loupe pas une miette du spectacle - bah quoi ? C’est pas elle qu’on menace - Hanaelle voit clairement les muscles du brun se tendre sous sa chemise et un frisson d’excitation parcourt sa colonne vertébrale… C’est qu’elle irait bien passer un doigt sur ces muscles mais quelque chose lui souffle que ce serait mal venu quand même - puis elle lui en veut quand même encore un peu de l’ignorer comme ça.

Quand il ouvre la bouche, elle ne peut s’empêcher d’hausser les sourcils de surprise. Wouah, vraiment pas n’importe qui ! Il a l’air bien renseigné le coco ! Ou plutôt l’ours mal léché, à en juger par sa façon de gronder plus que de parler. Sérieusement, comment il fait un truc pareil ? C’est redoutable pour intimider ses adversaires ! Elle est sûre que les deux rigolos sont à moitié en train de se faire dessus là ! Le tout accompagné par des poings qui se serrent, histoire de bien montrer qu’il n’en démordra pas. Elle est presque satisfaite de voir le chauve se ratatiner un peu plus sur sa chaise. D’accord, cette histoire ne la concerne pas et elle ne sait absolument pas de quoi il en retourne - le brun cherche un type mais elle en est même pas sûre, ça pourrait très bien être un nom de code pour de la marchandise - mais ça ne l’empêche pas de soutenir monsieur-muscles. Mentalement bien sûr, elle a pas super envie de rappeler son existence au monde là. D’ailleurs, si la situation s’arrange pas, elle va peut-être prendre la tangente avant de se prendre un coup. Sauf que Monsieur-Propre est pas aussi con qu’il en a l’air puisqu’il finit par abdiquer. C’est presque dommage, presque seulement, parce qu’elle n’aurait pas été contre voir le brun sexy en action. D’un autre côté, c’est peut-être plus sûr comme ça !

Après plusieurs secondes où il ne se passe rien, le chauve sort un papier et griffonne un truc qu’il tend à Calvin. Ce dernier y jette un coup d'œil puis le range dans sa poche avant de lancer un dernier regard d’avertissement aux deux rigolos. Le spectacle touche à sa fin on dirait bien, dommage, la vue était agréable… Bon, il va falloir qu’elle se trouve un autre pigeon pour la ramener chez elle puisque le seul homme digne d’intérêt qu’elle a croisé de la soirée a pas l’air de s’intéresser à elle. Alors qu’il se lève, elle pivote sur son siège pour commencer à regarder les occupants de la salle quand une voix rauque attire son attention. Aussitôt, elle tourne la tête vers monsieur-muscles et esquisse un léger sourire en coin quand il l’invite à prendre un verre. Finalement, il ne l’ignore pas tant que ça ! Elle ne devrait probablement pas se réjouir qu’un type dangereux l’invite de cette manière, elle ne devrait probablement pas être excitée à cette idée et encore moins le suivre, pourtant, c’est ce qu’elle fait. Elle quitte sa chaise sans un regard en arrière - après tout, elle s’en fout de ces deux types - et le suit jusqu’au bar.

- Un mojito, répond-elle sur un ton léger. Et toi ?

Elle s’installe sur un des hauts tabourets, en ignorant le tiraillement de sa hanche quand elle se hisse sur le siège, et se tourne ouvertement vers lui pour le détailler. Tiens, ses yeux sont d’un bleu clair sous cette lumière, elle aurait juré qu’ils étaient beaucoup plus foncés tout à l’heure, peut-être un effet de la lumière ? Bon, peut-être qu’elle le bouffe un peu du regard mais, à sa décharge, il dégage vraiment quelque chose ! Ce n’est pas le premier quarantenaire qui ne la laisse pas indifférente - elle aime les hommes matures - mais celui-là dégage plus de charisme que ceux qu’elle a rencontrés.

- Dis moi l’ours, t’as un prénom ? demande-t-elle avec un sourire en coin, un brin provocante. J’ai comme l’impression que c’est pas Calvin, vous aviez pas l’air d’être du genre à vous appeler par vos prénoms…

Elle par contre, elle ne dirait pas non, à l’appeler par son prénom. A le susurrer non plus… Enfin, plus vraisemblablement à le crier… Avec un peu de chance, elle en aura l’occasion d’en la soirée. C’est quand même dingue ça, elle était d’humeur à rester seule - chose rare chez elle - mais il a suffit qu’elle croise son regard pour changer radicalement d’avis.

We don't have to dance

Ashton & Hanaelle

__________________

Ashton n’a jamais été du genre à draguer. Il faut dire qu’il a été marié tôt et une fois marié, il n’avait plus de raisons de le faire. Dans son adolescence, oui, il enchaînait les conquêtes, mais ça n’a pas duré. Ce n’est pas plus mal. Celui qu’il était à seize ans était un piètre être humain. A présent qu’il a divorcé, il lui arrive de sortir avec une femme. Ce n’est juste jamais lui qui fait le premier pas, pas spécialement qu’il soit fermé ou peu réceptif. Il est réaliste, c’est tout. Les jeux de séduction, ce n’est pas son domaine. Il n’en voit pas l’intérêt. Si une femme lui plait, il ne comprend pas pourquoi il devrait y aller par quatre chemins pour le lui faire comprendre. Il préfère être direct, et la franchise, pour plaire, ce n’est manifestement pas le meilleur plan. Alors il se contente d’être égal à lui-même et si la personne qui l’accoste l’accepte, il en profite pour la nuit et basta. Dans le cas contraire, il n’en fait pas toute une histoire. Si un jour, il veut vraiment se soulager sans trouver personne, il y a des prostituées, ça lui conviendrait très bien.

Pourtant, il se retrouve bel et bien à inviter la blonde. Quelque chose dans son attitude, peut-être. Il ne saurait pas dire et il s’en fout. Elle lui plait. Il aime bien sa façon de le regarder. En voyant qu’elle accepte de le suivre, il n’attend pas plus et se dirige vers le bar, hochant rapidement la tête en notant sa commande sans répondre. Elle verra bien. C’est pas comme si ça importait de le savoir à la minute près. Il ne prend pas la peine de s’asseoir et adresse un geste au barman qui vient aussitôt vers eux.

- Un mojito et un whisky sec. Et de quoi grignoter.

L’homme acquiesce et s’éloigne pour s’activer pendant que la blonde s’installe. Ashton se tourne vers elle. Il ne sait pas trop si elle mangera ou non, il ignore même ce qu’on peut avoir comme genre de nourriture dans un établissement pareil, mais il est pas regardant à la dépense et si besoin, il s’en chargera, lui. C’est juste que boire le ventre vide quand on peut éviter, c’est pas plus mal. Pas qu’il soit pas résistant à l’alcool, c’est plutôt pour la demoiselle. Il hausse un sourcil quand cette dernière l’interpelle. Soit elle a l'œil pour repérer les thérians, soit elle est d’une espèce qui lui a permis de l’identifier, soit elle dit ça au hasard. Quoiqu’il en soit, elle est bien tombée, mais c’est pas un secret. Ashton n’a jamais caché sa nature de thérian ours. Elle fait trop partie de lui. Il la détaille une seconde avant de répondre. Son prénom ? Oui, c’est probablement un bon début…

- Ashton, répond-il d’une voix grave. Et toi ?

La conversation. Il a jamais compris pourquoi les gens en faisaient toute une histoire. S’attacher à une formulation plutôt qu’à une autre, faire attention à la politesse et aux fioritures, éviter le silence comme la peste… Non, il comprend pas. Il fait pas dans la dentelle, lui. Les blancs, ça l’a jamais dérangé. De toute façon, ça lui vient pas naturellement, de parler. Néanmoins, pour ce soir, il est disposé à faire un petit effort.

- Tu devrais pas traîner avec ce genre de types.

Pas que ça le regarde, c’est juste un conseil. Elle fait ce qu’elle veut, il a rien à y redire. N’empêche que c’est pas très malin de frayer avec des personnes qui respectent ni les femmes, ni la vie en général. Même si lui non plus n’a pas vraiment de scrupules à tuer, il s’estime malgré tout plus recommandable. Au moins, il est ni malveillant, ni con. Il détourne les yeux le temps de récupérer les boissons que le barman leur tend avec un plateau de tapas. Parfait. Il prend son verre et descend une gorgée avant de reporter son attention sur la jeune femme. Il lui donne pas plus de trente ans. Elle est jeune et belle, elle a rien à gagner à fréquenter des gars de la mafia.

Un whisky, c’est marrant, elle aurait pu le parier ! Monsieur-muscles n’a pas l’air d’être le genre à faire dans les boissons sophistiquées ou à boire des cocktails, plus à boire de l’alcool pur, comme il vient de le lui prouver. Perso, le whisky, surtout tout seul, c’est pas trop son truc, mais c’est probablement parce qu’elle n’a goûté qu’au whisky bon marché à des fêtes, qui se retrouvaient dilués dans des tonnes de coca. Quoique, un jour, elle en a goûté un bon, chez ses parents, mais c’était peut-être du cognac en fait. C’est qu’elle s’y perd avec tous ces alcools ambrés, elle ! Par contre, l’ours grognon a l’air de s’y connaître lui, et vu son allure, elle est sûre que le barman ne va pas lui servir de la piquette ! Elle se retrouve à sourire, un peu amusée, alors qu’il commande “un truc à grignoter” en plus des boissons. Non, définitivement, il n’a pas l’air d’être du genre à regarder à la dépense, ou à se casser la tête pour décortiquer ce qu’il veut. L’homme derrière le bar n’a plus qu’à se débrouiller, mais ça fait partie de son travail, enfin elle imagine. De toute façon, elle doute que le grand brun soit du genre à donner des réponses détaillées et il est suffisamment intimidant pour faire passer l’envie de demander des détails. Sérieux, il doit être redoutable dans son boulot !

Hanaelle se désintéresse bien vite du barman et pivote sur son haut tabouret de bar pour faire face à son nouveau compagnon de la soirée. Clairement, il est bien plus intéressant que ceux qu’elle a eu jusque-là, c’est pas pour rien qu’il lui a fallu moins d’une seconde pour se décider à le suivre ! Elle note distraitement qu’il préfère rester debout, ça renforce son côté intimidant, surtout quand il la regarde. Elle a beau être sur un siège de comptoir, et donc haut, il la surplombe largement. Il mesure combien cet homme ? Dans les deux mètres ou un truc comme ça ? Le pire, c’est qu’elle se sent pas spécialement petite ou insignifiante à ses côtés, elle saurait pas expliquer d’où ça vient, mais elle se sent bien avec lui. Peut-être que l’alcool biaise déjà sa vision mais pourtant, elle n’a pas bu tant que ça, à peine un verre, il lui faut bien plus que ça pour être grisée. Dans ce cas, ça doit venir de lui. Ashton, puisque c’est ainsi qu’il s’appelle. Un prénom qui lui va bien, enfin elle trouve, mais en même temps, il a pas trop une tête à s'appeler Mickey quoi. Et cette voix grave… Sérieusement, il a une voix plutôt sexy dans son genre ! Profonde et un peu caverneuse, le genre de voix qui la fait frissonner. Ce type, c’est un peu comme un shot de vodka sur patte, il a un effet plus enivrant que l’alcool. C’est à la fois dangereux et excitant.

- Hanaelle, répond-elle simplement, avec son accent français, quand il lui retourne la question, le tout avec un sourire en coin.

Elle pose son coude sur la table et appuie sa joue contre sa paume pour le détailler. Avec sa chemise blanche et son costume gris, simple mais clairement de qualité, il a tout d’un homme d'affaires qui viendrait se détendre après le boulot. A l’exception de la cravate. Sauf qu’il a un truc dans le regard, une lueur, qui détrompe presque tout de suite. Il est beaucoup plus dangereux qu’un banal homme d’affaires. La blonde trouve qu’il dégage quelque chose de plus sauvage que les types qu’elle vient de quitter d’ailleurs. Elle a conscience qu’elle devrait se méfier de lui, il n’a pas la tête d’un banal vendeur d’assurances quoi. Ce qu’il dégage a de quoi allumer les signaux d'alarme de la plupart des gens, mais il faut croire que son instinct de survie s’est fait la malle et n’est pas prêt de revenir. Du coup, forcément, quand il lui dit qu’elle ne devrait pas fréquenter ce genre de types, elle ne cherche pas à retenir le petit rire amusé, peut-être un peu désabusé aussi, qui lui vient.

- Quel genre de type ? Eux ? demande-t-elle en désignant vaguement le coin d’où ils venaient. Ou toi ? ajoute-t-elle avec une lueur provocatrice dans les yeux.

Elle sait qu’elle ne devrait pas jouer avec le feu, que ce type pourrait être dangereux et que dans le fond, elle ne le connaît pas, mais elle n’arrive pas à résister. Elle ne cherche même pas à le faire, parce qu’elle sait que jouer avec le feu, c’est un truc qu’elle aime. Quand bien même elle pourrait se brûler. Quand bien même c’est déjà arriver. Elle sait qu’elle recommencera, surtout si elle tombe sur des types comme Ashton qui lui font perdre tout bon sens. Le barman choisit ce moment pour revenir avec leurs boissons et une assiette de tapas. Ah, c’est plus recherché qu’un bol de cacahuètes ! Bon en même temps, dans un casino, ça ferait sacrément tâche. Les cacahuètes, ça fait pas rêver quoi, et ici, le but, c’est pas de faire croire aux gens qu’ils peuvent devenir riche grâce à une machine à sous ou une paire de cartes ? Elle prend son verre, agite le contenu en écrasant un peu la menthe avant de glisser la paille entre ses lèvres pour le goûter. Hum, c’est qu’il se moque pas du monde le barman, il est vachement bien dosé son mojito ! Elle repose son verre sur le comptoir avant de reporter son attention sur Ashton.

- C’est qui Wang Tao ? Un type qui a esquinté ta voiture sans te laisser les coordonnées de son assurance ? lance-t-elle sur un ton détaché, un poil amusée malgré tout.

Dans le fond, elle se fout totalement de savoir qui c’est, ce type qu’il cherche, c’est juste histoire de faire la conversation, puisque monsieur l’Ours n’a pas l’air d’être doué pour papoter. Elle jette un coup d'œil à sa main gauche, sans spécialement chercher à se cacher, pas d’alliance, c’est bon signe ça. Enfin, ça ne veut rien dire, elle n’est pas naïve, elle sait que certains hommes retirent la leur pour aller chasser, mais Ashton n’a pas l’air d’être là pour ça - ou alors il cache bien son jeu. Et même s’il est là pour ça, elle espère que ce sera elle, sa proie.

- T’as quel âge ? Tu fais quoi dans la vie ? T’es venu juste pour voir ces types ou t’es un amateur de jeu ? A moins que ce soit là qu’on trouve le meilleur whisky de la ville, mais j’ai comme un doute.

Elle attrape un tapas sur l’assiette posée devant eux, histoire de s’occuper les mains, et aussi parce qu’ils lui font un peu de l'œil aussi, et le mange sans détacher son regard d’Ashton. Elle est presque sûre de l’agacer, au moins un peu, avec ses questions, mais tant pis. De toute façon, il est pas obligé de répondre. Elle lui proposerait bien directement de la raccompagner chez elle, mais bon, ça se fait pas trop ce genre de choses, et elle voudrait pas non plus passer pour une désespérée.