Métas [5/5]

Jane est la petite dernière d’une famille de quatre enfants, et la seule fille du groupe. Elle a grandi en bataillant contre ses frères, toujours ravis de pouvoir l’embêter et la surprotéger - ça dépendait des moments. En bref, étant petite, elle n’a eu que peu de moments tranquilles. C’est peut-être ça, ou son esprit de contradiction, qui l’a poussée à se rapprocher de Lindsay, lors de l’année de ses dix ans.

Lindsay était une thérian aigle, or, ses parents et ses frères, appréciant peu cette espèce, lui avaient toujours dit de ne pas s’approcher d’eux, ni de leur faire confiance, car leur part animale les éloignait de la "civilisation". Au début, sa famille n’en a rien su, mais ils ont fini par l’apprendre et s’opposer à l’amitié des deux filles. Rien n’y a fait cependant, elles ont continué à se voir et à jouer ensemble, devenant de plus en plus complices jusqu’au jour où tout a basculé.

Un jour, alors qu’elle avait 15 ans, une grosse dispute a éclaté entre Lindsay et elle, poussant la jeune théranthrope à changer de forme et à attaquer Jane, poussée par des instincts dont elle n’arrivait pas à prendre le dessus. Blessée et terrorisée, Jane a perdu le contrôle de son don : quand elle s’est calmée, Lindsay gisait au sol, une mare de sang s’étalant petit à petit sous elle. Suite à cet accident, son amie est restée dans le coma pendant plusieurs mois et aujourd’hui encore, elle garde de graves séquelles de tout ça. Jane ne l’a jamais revue, mortifiée et déchirée par sa faute, et s’est ensuite fait étroitement surveiller par sa famille.

Marlon a vécu dans une famille chaleureuse, avec des parents très portés sur les farces et une grande sœur de presque dix ans son aîné. Enfant très discret, il a inquiété sa famille pendant un temps, en restant souvent dans son coin, plus occupé à jouer aux Legos qu’à se faire des amis et n’osant pas trop prendre la parole à cause de son bégaiement. Les années passant, ses séances avec son orthophoniste l’ont aidé à améliorer son élocution, mais il ne s’est pas rapproché des autres pour autant.

Ce que Marlon adorait, c’était créer. Créer des univers entiers avec ses Legos, des villes qui s’étalaient sur le sol de sa chambre, dessiner maladroitement ce qui lui passait par la tête ou construire des cabanes avec des draps et des chaises. Il a découvert la poterie par hasard, en accompagnant sa sœur chez une amie qui en faisait, et est tombé amoureux de cet art, sans pour autant abandonner ses précieux Legos. Au moment de choisir son orientation, il s’est tourné sans hésiter vers les arts, espérant faire de la poterie son métier. L’avantage, en plus du fait qu’il adore ça et qu’il se débrouille plutôt bien, c’est que ça ne demande pas beaucoup d'interactions sociales.

Une vraie vie de pacha, voilà comment l’entourage d’Emily décrivait son quotidien. Une grande maison, une piscine avec jaccuzi, une villa de vacances au bord de la mer, un chauffeur privé pour la conduire à l’école et une marée de jouets. Très honnêtement, la petite fille partageait ce point de vue, même si son père n’était pas toujours présent, que sa mère ratait parfois ses spectacles de chant, et que ses parents refusaient qu’elle joue avec des enfants qui ne soient pas de grandes familles riches. Ils se rattrapaient aux anniversaires en lui payant des fêtes somptueuses où toute son école était invitée, et avec des voyages et des cadeaux grandioses.

Et puis, Emily a grandi. Elle a découvert les critiques, les vraies, qui tapent là où ça fait mal. Les rumeurs sur son père. Elle en était fière, elle, de son père : un émissaire respecté, efficace, qui avait travaillé pour deux Ambassadeurs après une carrière dans le droit. Alors, ses absences, elle lui pardonnait. Sauf que le monde n’est pas tout rose, et il s’est teinté de gris le jour où elle a lu pour la première fois dans les journaux le mot “corrompu”. C’était sa toute première enquête, elle visait à prouver au monde que son père n’avait rien de l’homme décrit dans ces lignes. C’était sa toute première enquête, et elle a changé sa vie à jamais.

De cette découverte a découlé la Emily telle qu’on la connaît aujourd’hui : avide de réussite, désireuse de couper tout lien avec sa famille et prête à montrer qu’elle n’est pas comme eux. Ce qu’elle veut, c’est la justice. Pour les autres, pour elle aussi, évidemment. Et puis, c’est faire un pied de nez à son cher géniteur. Les sales types, elle, elle les envoie droit en tôle. Et c’est tout. Le joli monde doré dans lequel ses parents continuent à évoluer, parce qu’ils sont protégés, elle ne veut plus y poser un orteil. Cette vie est derrière elle, et tout ce qu’elle veut aujourd’hui, c’est avancer toujours plus.

Gideon a toujours su qu’il ne finirait jamais comme ses parents. Propriétaires d’un élevage de volailles au beau milieu de la campagne, ceux-ci se réjouissaient d’un rien, ne parlaient que du temps, de leurs poulets et des rumeurs fumeuses sur les habitants des environs, et Gideon, lui… se faisait chier. Il méprisait ces gens, refusait d’y être assimilé et, avant d’entrer au lycée, il s’est fait un devoir d’utiliser son don pour convaincre ses parents de le laisser aller vivre chez ta tante à New-York.

C’est sans aucun regret qu’il a laissé derrière lui ses parents, à qui il n’écrit aujourd’hui que pour qu’ils lui fichent la paix et cessent de l’appeler pour réclamer des nouvelles, pour profiter de la ville et de la vie qu’il méritait. Dans son nouveau lycée, il s’est épanoui, s’entourant d’un groupe d’amis et d’admirateurs, devenant l’une des coqueluches des filles. C’est à cette période qu’il a découvert son homosexualité et a expérimenté le plaisir des sorties citadines. Mais ce n’était pas encore assez. Gideon voulait devenir riche, influent, connu. Une fois diplômé du secondaire, il a choisi de partir en fac de droit à Chesscross, seule université prestigieuse à avoir accepté sa candidature. Au cours d’un de ses stages, il a réalisé que le système de Chesscross donnait deux voix aux mages et une seule aux autres espèces. Cette injustice est restée dans l’esprit de Gideon jusqu’à devenir une obsession. C’est ainsi qu’il est devenu Emissaire, bien décidé à profiter de son poste encore longtemps ou à devenir un jour Ambassadeur afin de rétablir l'équilibre mérité, ou de rétablir ce qu’il estime être la juste suprématie des métas.

C’est au cœur de Bombay que Prisha a vu le jour, dans une famille assez traditionaliste de la classe moyenne. Son enfance a été partagée entre les jeux, les cours dans son école aux classes surpeuplées et les coups de main qu’elle donnait à ses parents. Ces derniers tenaient un petit théâtre et la jeune fille y passait du temps à aider les acteurs, nettoyer la salle à la fin des représentations ou encore proposer des boissons.

Dans cette ambiance feutrée, elle a observé, a discuté avec des gens, découvert que l’on pouvait vivre de mille façons différentes, et s’est nourrie de tous ces témoignages, construisant, au fil des années, des projets et des rêves de liberté. Sérieuse et appliquée à l’école, elle a tout naturellement voulu poursuivre ses études. Attirée par la médecine et la magie des progrès toujours constants dans ce domaine, elle a commencé, adolescente, à lire et à se renseigner sur les différentes possibilités qu’elle envisageait pour son avenir. Tentant de convaincre ses parents en amont, Prisha n’a cependant jamais réussi à faire entendre son opinion. Son père, particulièrement opposé à l’idée que sa fille soit une intellectuelle, s’est hâté de lui trouver un bon parti pour arranger un mariage.

Incapable d’accepter d’épouser un homme qu’elle n’aurait pas choisi et d’abandonner ses projets, Prisha s’est mariée, dans le dos de ses parents, à un ami originaire de Chesscross : un mariage blanc, destiné à la faire quitter son pays pour profiter des écoles et institions de cette cité-état réputée. Après de rapides et orageux adieux à sa famille, elle s’est donc tournée vers cette nouvelle vie et installée avec son mari. Pouvant enfin étudier autant qu’elle le désirait, elle a décidé de coupler son intelligence à son don et de devenir soigneuse. Au cours de ses études, elle et son ami se sont mis d’accord pour divorcer, à présent que Prisha était bien installée.