Plus personne ne bouge, c'est la brigade de l'amour ! (Lussi & Leon)

Ce soir-là, Leon ne travaillait pas. Comme tout le monde, il avait droit à des moments de off. S’il avait pu, il aurait refusé, mais c’était pas très légal de bosser 7 jours sur 7 et il ne voulait pas causer de soucis au Mistral. Il avait tout préparé pour qu’ils n’aient pas de soucis avec les desserts ce soir. Il avait toujours un peu d’angoisse à laisser le dressage à quelqu’un d’autres, mais il leur avait bien tout expliqué alors, ça ne pouvait pas rater. On pourrait pas se plaindre des desserts. Et c’était ce qui lui importait.

Du coup, il était chez lui, un peu désœuvré. Il avait attaqué le ménage de la cuisine. Parce qu’il avait trouvé qu’il y avait un peu trop de poussière sur le plan de travail. Alors, il avait mis un grand coup de propre dans les lieux. Alerte spoiler, pour n’importe qui d’autre, l’endroit était déjà nickel avant son passage. Sans doute parce qu’il nettoyait presque tous les jours cette cuisine. M’enfin, ça le faisait se sentir mieux que de s’activer dans le rangement. Il prépara aussi le repas pour toute la famille, se lançant dans la confection d’une tourte aux légumes d’été, avec une belle salade en accompagnement, agrémenté de feta et d’une vinaigrette au miel. Il avait aussi fait de petites verrines façon tiramisu aux fraises. A croire qu’il ne pouvait pas s’empêcher de tout faire comme au restaurant même chez lui. Il ne lâchait pas trop prise quand il s’agissait de cuisine. Mais ça évitait à leur mère de se soucier de ça. Et lui, ça lui faisait du bien de sentir qu’il était utile à sa famille.

Lussi était rentré alors qu’il était encore en train de dresser la tourte. Ils avaient discuté un peu. Enfin, plutôt, il avait écouté Lussi, et de temps en temps, il lâchait quelques mots pour relancer la conversation. Pour lui, c’était participer activement à la discussion déjà… C’est le drame des introvertis, non ? Que dire trois mots soit aussi dur pour eux que de parler des heures pour un extraverti. Et au détour de la conversation, son téléphone avait sonné. Il s’était essuyé les mains et avait eu un air un peu étonné.

“Oh… J’ai quelqu’un qui a matché mon profil… Tu sais sur le site que tu m’as conseillé…” souffla-t-il un peu surpris et perdu.

C’était juste comme un signe de cette personne pour aller plus loin, mais ça arrivait si peu souvent. Sans doute parce que son profil était toujours à demi-vide et qu’il ne postait rien sur le site, qu’il n’allait pas vers les profils des autres. N’empêche que quelqu’un l’avait repéré lui. Il en revenait pas. C’était intimidant. Il en avait le rouge aux joues.

“Lulu… Tu m’aideras ?” murmura-t-il un peu paumé à sa soeur.

Il était si démuni dans ces situations-là. Il avait essayé deux ou trois fois, mais il avait pas réussi à dépasser le troisième rendez-vous. Il avait toujours la sensation d’être un imposteur. De pas valoir l’intérêt des autres. Peut-être qu’il arriverait jamais à se départir de cette impression-là. Il termina sa tourte, les sourcils un peu froncés. Il mit tout à cuire et il rejoignit Lussi sur le canapé, regardant à nouveau la notification du site.

“Pourquoi tu crois qu’il s’intéresse à moi ?” murmura-t-il perplexe. “Surtout… J’ai rien marqué… J’ai pas eu le temps…”

Ou pas voulu prendre le temps de compléter ce profil. Mais chut.

Sa soeur était rentrée, et rien que ça, ça suffisait à faire sourire Leon. Il n’avait pas ces très grands sourires, non, le sien était discret, à peine visible mais là, froissant imperceptiblement ses lèvres. Lussi avait ce pouvoir-là sur lui, de l’accrocher à ses lèvres ce sourire, et souvent, en sa présence, il ne disparaissait jamais vraiment. Le gland qu’elle lui posa dans les mains élargit un peu ce sourire, l’accompagnant d’un regard curieux. Il n’avait pas la même passion pour les glands, mais il aimait que sa soeur lui en offre. Il savait combien elle aimait les glands, alors en recevoir, c’était un beau cadeau. Il en avait… Quelques gros pots dans sa chambre. Mais il était hors de question pour lui de se séparer de cadeaux si précieux. Leon était un vrai sentimental quand sa soeur était dans l’équation.

“Oh oui… On dirait une ganache chocolat pistache ! C’est très joli !”

Il le rangea dans sa poche de jean. Il rejoindrait sa collection personnelle à lui. Il se lava les mains et reprit la cuisine. Discutant avec Lussi, faisant presque la cuisine sans y faire vraiment attention tant il était habitué à ces gestes là. Et puis, la notification était arrivée, amenant en chemin doutes et perplexité pour le pauvre Leon désemparé. Il n’était pas sûr d’être intéressant lui. Vraiment pas sûr. Non en fait, il était même sûr de pas l’être… Il avait rejoint Lussi sur le canapé. Elle avait beau lister ses prétendus qualités, ça arrivait pas vraiment à le convaincre. ça le faisait juste rougir.

“Je suis pas si mignon… Je suis banal…” murmura-t-il en se mordillant la lèvre. “Fais attention où je vais me cacher dans le grenier…”

Le placard du grenier, c’était le moins accessible, même lui avait du mal à s’y faufiler sous sa forme animale. Alors pour l’en sortir, c’était coton. Il en plaisantait mais… C’était son refuge ultime. Là-bas, personne pouvait l’atteindre et parfois, ça lui était nécessaire d’être seul à ce point, protéger dans ce cocon de bois poussiéreux.

Il mit le téléphone entre eux, que Lussi puisse regarder en même temps que lui. Il n’avait pas vraiment de secret pour elle et puis, il avait fait l’inscription sur le site avec elle alors… C’était en rien confidentiel. C’était son idée à elle même. Lui… Il était pas sûr d’être fait pour les relations amoureuses. Les relations tout court ceci-dit.

“S’il me plaît ? Mais… Comment je pourrai savoir… Je le connais pas… Et…”

Il ouvrit le profil de cet inconnu. Il fronça un peu les sourcils. Il avait l’air vraiment plus vieux que lui. Genre, vraiment, vraiment.

“Il est vieux, non ? 47 ans… C’est un peu beaucoup, non ? Tu… Tu trouves pas bizarre qu’il s’intéresse à moi ? Je… Je pourrai être son fils…”

Il n’avait rien contre la différence d’âge en théorie mais ça éveillait quand même sa méfiance. Il avait peur de n’être qu’un petit jeune qu’on drague pour le sport. Ou le dépaysement ? Il savait pas trop mais ça le mettait pas très à l’aise. Surtout qu’en regardant son profil… Rien n’avait l’air de les rapprocher. Il aimait le golf et les grosses voitures… Il eut une petite grimace.

“Tu crois qu’il fait une blague en fait… ? On… On a rien en commun !”

Plus il regardait et moins il avait envie de tenter quoi que ce soit.

“Je… Je crois qu’il y a rien qui m’intéresse dans son profil… Je… Je suis une horrible personne si j’ai pas envie de lui laisser une chance ?”

C’était horrible de même pas lui laisser une chance… Alors que c’était peut-être un homme très bien et intéressant. Juste… Y’avait rien qui inspirait Leon. Il avait peur de se retrouver face à quelqu’un de si différent de lui qu’il ait rien à dire. Qu’il soit ridicule en face et mal à l’aise.

Le meilleur des banals ? Lussi avait de drôles d’idées. Comment on pourrait être le meilleur banal ? On restait banal, perdu dans la masse. Il n’avait rien de plus que les autres. Voilà tout. C’était un défaut, d’être une médiocre et pâle copine de n’importe qui d’autre. Il n’avait pas les notes colorées de sa sœur. Il était comme un fantôme de sa propre vie. Il s’en rendait compte, et quelque part, ça le rendait un peu triste, mais comment faire ? Comment reprendre le contrôle ? Comment aller vers les autres ? Comment ne pas rester dans sa rassurante routine ? Et là qu’il y avait quelque chose pour le sortir de sa torpeur, c’était… Bizarre.

Il avait laissé son téléphone à sa sœur pour qu’elle puisse lire mieux. Il n’avait aucun mal à lui montrer tout ce qui passait dans son téléphone. Il n’avait pas de secrets pour elle. Et puis qu’aurait-il eu à cacher ? Sa vie privée n’avait rien de trépidant. Vraiment rien.

“T’es sûre ? Mais… Y’a tellement peu de gens qui me parlent… Si… J’essaie pas avec eux alors….”

Alors j’essaierai jamais avec personne. Parce qu’il se sentait bien incapable de faire le premier pas. Il ne savait pas comment faire ça. Et même le second, il ne savait pas vraiment le faire non plus. Alors, c’était compliqué. Et il ne voyait pas comment s’y prendre. Comment rompre ce cycle de solitude bien douillet finalement. Sa soeur, sa mère et lui, c’était si rassurant. Et puis, qui voudra d’un garçon qui ne songe pas à vivre ailleurs qu’avec sa sœur et sa mère ?

Hop ? Disparu ? Oh. Quelque part, ça le soulageait plutôt que sa soeur prenne la décision pour lui et bloque ce profil. Il eut un soupir. Il n’attirait que les gens bizarres. Il récupéra son téléphone et regarda son profil vide. Lussi avait sans doute raison, il vaudrait mieux le remplir plus ? Et mieux. Il se mordilla la lèvre.

“On peut le remplir ensemble… Je sais jamais quoi écrire…”

Pourtant, ça avait l’air facile mais pas pour lui. Parler de soi, c’est compliqué quand on est d’une timidité maladive. Il avait l’impression que rien ne serait jamais intéressant le concernant.

“Je… Je passe ma vie à cuisiner… Je… Je vois pas quoi marquer d’autre… Je sais faire que ça… Et… Y’a rien d’intéressant à savoir sur moi…”

Et même se décrire ? Brun aux yeux marrons. Bonjour la banalité. silhouette d’épouvantail. Cheveux dignes d’un scientifique fou… Il valait sans doute mieux que ce soit Lussi qui le décrive.

“Vaut mieux que ce soit… Que ce soit toi qui écrive… Moi… Je sais pas être… gentil… ou réaliste avec moi…” avoua-t-il d’une petite voix, un peu désolé.

ça le dépitait d’être si incapable de se voir normalement. De ne pas savoir s’aider. S’aimer. S’il n’était pas capable de s’aimer un peu, comment quelqu’un d’autre pourrait le faire ? Il en savait rien.