And now, can we panic ? [Josh & Leon]

Leur petite maison paraissait bien calme quand Lussi et sa mère n’étaient pas là. C’était à la fois étrange et reposant. Il ne fallait pas que ça dure trop longtemps, mais pour une soirée, c’était plutôt agréable, Leon devait bien l’avouer. Même si cette fois, il était un peu triste de ne pas avoir été prévenu plus en avance, il avait fait à manger pour trois et voilà qu’il se retrouvait avec plein de nourriture sur les bras. Tant pis, ils mangeraient ça le lendemain ! Il allait profiter de cette soirée en solitaire pour faire des tests pour les futurs desserts du restaurant. Il espérait réussir à sublimer les magnifiques pommes qu’un agriculteur local leur fournissait. Une revisite de la tarte tatin lui paraissait être une bonne idée. Après tout, on aime tous les tartes aux pommes, non ? Enfin, une majorité de personnes aime ça ! Et puis, avouons-le, il avait besoin de s’occuper l’esprit. Sa rencontre avec Joshua l’avait… Chamboulé ? Oui. Il n’aurait jamais cru avoir une âme-soeur et… En fait, l’idée de peser sur la vie d’une personne de plus, c’était trop compliqué. Vraiment. Il ne voulait pas être un poids pour ce garçon qui avait l’air tout à fait épanoui et heureux. Il n’avait rien à lui apporter à par de l’anxiété. Et personne n’a envie d’un bonus d’anxiété, non ? Même s’il voulait lui reparler, Leon était sûr que c’était une mauvaise idée. Il n’avait même pas réussi à lui répondre. Parce qu’une part de lui n’avait pas envie d’être blessant ou définitif dans son refus. Bref. Il avait ghosté ce pauvre Joshua comme il goshtait à peu près toutes les personnes qui essayaient de l’approcher. C’était terriblement nul mais… Il n’arrivait pas à faire autre chose.

Bref. Les pommes. La pâte sablée. Le caramel. C’était les choses qu’il savait faire. Peut-être la seul chose qu’il ne saurait jamais faire d’ailleurs. Il avait passé son tablier, relevé ses cheveux en chignon, et il s’affairait en cuisine quand on sonna à la porte. Oh, c’était sûrement Lussi qui avait oublié quelque chose en plus de ses clefs. Il n’en aurait pas pour longtemps à lui ouvrir, il laissa le caramel sur le feu.

“Un jour tu oublieras ta tête Lussi !” lança-t-il en approchant de la porte.

Il ouvrit et…. Il se figea sur place, ses yeux s’écarquillant de surprise. Joshua ? Qu’est-ce qu’il faisait là ? Il ne comprenait pas. Comment il avait eu son adresse ? C’était Dakota qui lui avait donné ? Il croisa son regard sans trop comprendre.

“Qu’est-ce que…. Tu… Je…”

C’était très clair Leon, vraiment.

Une part de lui avait juste envie de fermer la porte au nez du garçon tellement c’était inattendu et stressant de le voir ici. Mais sa politesse prenait heureusement le dessus. Il n’arrivait quand même pas trop à bouger. Heureusement, une odeur chatouilla ses narines sensibles.

“Le caramel !” s’exclama-t-il avant de filer en courant vers la cuisine, plantant le pauvre Joshua devant la porte ouverte.

Il se précipita en cuisine, mais trop tard, le caramel avait déjà roussi en de trop importante proportion. Il retira la casserole du feu en s’insultant mentalement. Bon. Il avait raté son caramel, Joshua était là, il n’était pas du tout présentable avec son tablier de cuisine tâché, la cuisine était un champ d’expérimentation, le salon n’était pas parfaitement rangé. Bref. C’était la catastrophe. Il sentait son souffle s’accélérer. Non. Non. Calme-toi Leon. Pas maintenant. Pas une crise d’angoisse. Pas avec Joshua à proximité. Lui fais pas ça. Il se força à inspirer, expirer lentement, mais rien n’était vraiment gagné.

Il s’attendait à prendre un café, en plein après midi, dans un lieu public… Mais non. Il était invité, chez lui, un soir, pour diner. Franchement… Ca ressemblait tellement à un date que ça lui avait foutu l’esprit à l’envers. Cela faisait bien deux semaines qu’il avait rencontré Léon quand il avait enfin eu le courage d’utiliser le numéro donné par Dakota et de lui écrire… Pour ensuite se faire ghoster pendant une autre très longue semaine.
Il avait été plus que surpris -et un peu suspicieux il fallait l’avouer- quand il avait finit par recevoir une réponse, comme si de rien n’était, et qui acceptait en plus de le revoir. Il avait pourtant finit par ne plus y croire du tout, et s’était dit qu’après tout, ce serait plus facile à gérer auprès de Sigurd et de leur… Leur quoi ? Il en avait aucune idée. Il n’était pas bien sûr de savoir où se situait actuellement leur relation, aussi préféra-t-il mettre tout cela de côté.

Peut être n’aurait-il pas du venir à pied ? Cela lui laissait un temps effroyablement long pour réfléchir et angoisser. Franchement, il pensait vraiment en avoir finit avec son anxiété et son manque de confiance, et il n’était pas vraiment sûr d’apprécier que le simple lien d’âme soeur donne une telle importance à Léon que ça fasse ressortir tout cela chez lui.
Ou alors c’est parce qu’il se rapprochait de Léon, qui angoissait lui même ? A vrai dire, il n’avait plus rien ressenti de sa part depuis l’EVJ où il l’avait sentit s’en aller pendant l’une de ses prestations. Il avait littéralement sentit à l’intérieur de lui, les sentiments du pâtissiers s’atténuer jusqu’à disparaitre au fur et à mesure qu’il fuyait.
Il s’arrêta au bip de son téléphone qui lui indiquait qu’il était arrivé à destination. Levant le regard vers la maison et la porte d’entrée il grimaça. L’angoisse venait bien de lui, et il n’était plus très sûr de vouloir rentrer. L’idée d’avoir repris contact pour se faire rejeter une seconde fois, mais en bonne et due forme autour d’un repas démontrait un masochisme inquiétant, même pour lui.

Il soupira doucement, se secouant intérieurement comme s’il avait eu une fourrure à replacer. Ca suffisait comme ça. Il inspira et expira profondément, histoire de chasser toute cette angoisse malvenue et avança pour frapper à la porte. Malgré tout cela, il avait curieusement hâte de le revoir, et n’était pas très sûr de savoir si c’était dû au lien d’âme soeur, ou à Léon lui-même.
Cette histoire de dîner quiressembleàundate lui avait donné des sueurs froides pendant qu’il choisissait sa tenue, sans savoir s’il devait mettre une tenue habillée ou non. Et puis, parce qu’il l’avait déjà vu dans un smoking, et qu’il ne voulait mettre aucune pression sur leur rencontre de ce soir -qui a la base, se produisait pour discuter de tout ça-, il avait opté pour un jean brut, un t-shirt col V noir, et un sweat-shirt à capuche noir. Rien de transcendant, mais il savait que c’était une tenue qui le mettait aussi en valeur. Win-win.

La porte s’ouvrit sur cette pensée, et son cerveau arrêta toute autre réflexion. A la fois parce que son regard venait de croiser celui de Léon, et que son corps réagissait curieusement à cet acte, à chaque fois, mais aussi parce qu’il ne lui fallut que quelques secondes pour noter l’extrême surprise qui venait de s’afficher sur le visage du pâtissier.
Surprise qu’il ne comprenait pas vraiment… S’était-il trompé dans l’heure du rendez-vous ? Pendant que Léon balbutiait ce qui devait probablement être une question à la base, Josh jeta un coup d’oeil à sa montre. Non, il était bien 19h30, comme prévu.

Il s’apprêtait d’ailleurs à lui répondre lorsque Léon fit volte face pour s’enfuir dans la maison, en criant quelque chose comme « caramel ». Le laissant planté là, dans l’encadrement de la porte, complètement perdu. Celle là, il ne l’avait pas vu venir…
Soupirant doucement, il entreprit quand même de rentrer et de refermer la porte, pas la peine que les voisins n’assistent à une pièce de théâtre gratuitement. Il sortit son portable de sa poche, relisant les deux sms. La date et l’heure étaient les bonnes, il ne comprenait pas.

Une vague d’angoisse le frappa alors, et il grimaça. Celle là, ce n’était pas la sienne. Il avait oublié à quel point c’était désagréable ce transfert de sensation.
Il secoua doucement la tête, sentant un tantinet de colère monter en lui. L’inviter pour l’humilier comme ça, c’était vraiment petit, de la part de Léon. Il aurait encore préféré se faire ghoster pour le reste de sa vie.
Les sourcils froncés d’incompréhension, et aussi un peu blessé par son attitude, il avança à grands pas jusqu’à la cuisine et lança vivement :


- A quoi tu joues au juste ?!

L’agacement s’entendait dans sa voix, et il ne chercha pas à le dissimuler. Il était même presque soulagé que sa douleur ne s’y entende pas. Il balança son téléphone sur le comptoir, lequel glissa jusque devant le pâtissier, l’écran allumé sur leur conversation sms.

- Pourquoi tu me réponds, et tu m’invites chez toi, si c’est pour agir comme ça ?

L’angoisse qu’il ressentait de la part de Léon lui laissait penser qu’il n’y avait rien de malveillant ou de pervers dans sa façon d’agir, qu’il ne souhaitait pas volontairement le manipuler ou le faire souffrir. Toutefois, il n’avait jamais été très patient, et il trouvait qu’il en avait déjà accordé pas mal au comportement du jeune homme depuis leur première rencontre.

“A quoi tu joues au juste ?!”

A quoi il jouait ? Mais à rien. Il ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Il y avait trop d’éléments qui se mélangeaient dans sa tête. Ce qui était en train de se passer ne faisait aucun sens. Et il sentait l’agacement, et une pointe de colère au milieu de son angoisse. Génial. Comme si ce n’était pas suffisamment compliqué à gérer comme ça. Il fallait qu’il ressente ce que ressentait Joshua. Et clairement, il aurait préféré ne pas le savoir. Pourquoi il s’énervait ? Il venait chez lui à l’improviste et… Comment ça lui répondre ? Il releva un regard perdu vers Josh. De quoi il parlait ? Il aurait voulu lui répondre, mais il n’en avait jamais eu le courage. Il n’aurait pas même osé lui proposer d’effectivement boire un café ! C’était pas possible. Il avait jamais répondu. Ce qui était lâche et impoli mais… Il regarda le téléphone qui avait glissé jusqu’à lui. Il le regarda plusieurs longues secondes. Lisant et relisant la conversation qu’il avait sous les yeux sans comprendre. Pourquoi son numéro avait envoyé ça ? Comment c’était possible….

Il attrapa son propre téléphone dans sa poche, le déverrouilla d’une main un peu tremblante et… Non. Il n’avait pas ces messages là. Aucune des réponses. Comment c’était possible ? Il le posa sur le comptoir, le faisant à son tour glisser vers Joshua -qui allait probablement mal interpréter ce petit smiley mis à côté de son nom, mais c’était le cadet de ses problèmes-là-.

“J… J’ai… J’ai pas répondu… Je… Je comprends pas… Je… Je suis désolé… Je…”

Il se mordit les lèvres. Le goût de son propre sang dans sa bouche lle rassurant peut-être un peu. C’était l’apocalypse. Il ne comprenait rien. Il avait juste envie de fondre en larmes. De se cacher. Il devait lutter contre son don pour ne pas instantanément se changer en mara et se planquer au fin fond du placard du grenier. Qui aurait pu faire ça ? Qui aurait pu répondre à sa…

“Lussi…” échappa-t-il en réalisant.

Il la laissait répondre à sa place quand il cuisinait. Et puis, elle savait ce qui s’était passé. Il lui avait dit qu’il s’en voulait de ne pas réussir à répondre à Joshua. Et… Elle avait dû vouloir bien faire. Sans doute. Ou juste qu’il dépasse ses appréhensions et autres angoisses. Mais… C’était pas forcément une grande réussite vu la présente situation.

“Je… Je… Je crois que… C’est…ma… ma petite soeur… Qui… qui a répondu… à ma place…”

C’était tout aussi gênant. La situation ne changeait pas. Mais… Il comprenait un peu mieux ce qui avait pu arriver.

“Je… Je suis désolé… Je… Je… Je lui… Je lui ai dit que… que j’a… j’arrivais pas à savoir quoi faire…Et… Elle… Elle a du croire que c’était… Une bonne idée…”

C’était pour ça qu’elle l’avait prévenu au dernier moment. Pour qu’il ait à manger pour deux. Mais… Il n’empêchait que c’était…pas comme ça qu’il aurait voulu que ça se passe. Il en avait les mains tremblantes sur le plan de travail.

“Je… Je… Je voulais pas…te blesser… Ni… Quoi que ce soit… Je… Si… Si tu veux pas rester… Je… Je comprendrai… Je… Je voulais pas… que… que ça se passe comme ça… Je… Je suis désolé…”

Léon leva vers lui un regard si perdu, que Josh en perdit une partie de sa colère. Le pâtissier semblait complètement à l’ouest, chamboulé et angoissé comme si.. Comme s’il ne s’attendait vraiment pas à sa venue.
Hypothèse qui commença à prendre de plus en plus de sens quand il vit l’air d’incompréhension sur le visage de Léon alors qu’il lisait la conversation sms comme pour la première fois, puis plusieurs autres fois après ça. Lorsqu’il sortit son propre téléphone, comme pour vérifier, il n’eut plus vraiment de doute. Ce n’était pas lui qui avait envoyé ces messages.

Effectivement, le téléphone qui glissa vers lui avait une conversation vide sous son premier message, et il en ressentit une pointe douloureuse au coeur. Bien plus douloureuse qu’il n’aurait bien voulu l’admettre.

Léon remua innocemment le couteau dans la plaie en balbutiant qu’il ne lui avait pas répondu, et qu’il était désolé.
Josh recula de quelques pas jusqu’à s’appuyer contre le comptoir, un sourire désabusé aux lèvres. Il se sentait tellement idiot. Tellement con d’avoir pensé que Léon avait pu changer d’avis au bout de trois semaines entières, comme ça, en un claquement de doigt, et de passer de la fuite sans un mot à une invitation CHEZ LUI.
Bon sang, mais comment avait-il pu être naïf à ce point ?!

- Lussi…

Lassé de la situation, et clairement blessé, Josh releva lentement la tête en entendant la voix de Léon, arquant un sourcil au prénom de sa soeur -merci Dakota pour les infos. 
Le pâtissier continua de bégayer des explications, qu’il écouta sans rien dire. Il l’écouta dire qu’il n’avait pas su quoi faire à réception de son message, que sa soeur avait répondu à sa place, qu’il n’avait pas voulu le blesser, et qu’il pouvait partir. Qu’il n’avait pas voulu que ça se passe comme ça.
Josh eu un sourire grimaçant.



- Oui je me doute. Apparement, tu ne voulais pas que ça se passe du tout.

N’est ce pas ? C’était bien pour ça qu’il ne lui avait pas répondu après tout. Pour ne pas risquer de le revoir.
Il secoua doucement la tête et se redressa, lui adressant un sourire bancal qui sonnait un peu faux.

- Pas de problème, arrête de t’excuser. C’est pas ta faute, j’ai bien compris. Je vais te laisser tranquille d’accord ?

Il ressentait une sorte de résignation, et il s'y accrocha avec soulagement. Elle était bien plus confortable que la douleur du rejet, et lui permettait de récupérer un certain recul, une certaine nonchalance. Il savait bien que ça ne durerait pas, mais en attendant... Il l'accueillait volontiers.
Il avança dans la cuisine pour récupérer son portable, se retrouvant à quelques centimètres à peine de Léon. Leur taille quasi équivalente donnait à leur proximité une intimité nouvelle, car ils avaient le regard presque au même niveau. Le souffle curieusement court tout à coup, Josh se pencha pour récupérer son portable, puis tendit le sien à Léon, avec un léger sourire.

- Léon ?

Un frisson remonta le long de sa nuque quand le pâtissier leva les yeux vers les siens en réponse à son interpellation.



- Respire, ou tu vas tomber dans les pommes.

Il accentua son sourire et recula pour rendre son espace vital au jeune homme -et récupérer le sien, en même temps que son souffle- et secoua doucement la tête.



- Je suis désolé d’être passé à l’improviste, je voulais pas t’angoisser ou te faire peur. Je voulais pas m’imposer non plus, je voulais juste…

Il haussa doucement les épaules, détournant le regard pour finir sa phrase, pas vraiment sûr de comment ça allait être reçu.

-  Je voulais juste te revoir. Et avoir l’occasion de discuter de cela avec toi.

Il se balança un court instant d’un pied sur l’autre puis fit volteface pour rejoindre tranquillement la porte, pas vraiment sûr de ce qu’il y avait de plus à ajouter. Il avait une âme soeur qui paniquait à sa simple vue et ne souhaitait pas le voir. Bon. Après tout, certains étaient bien âmes soeurs avec des ennemis ou des gens qu’ils ne rencontreraient jamais de leur vie. Certains n’en avaient pas. Il pourrait vivre sans…

C’était raté pour ne pas le blesser visiblement. Pourquoi faisait-il toujours tout de travers ? C’était terrible. Il s’en voulait tellement de ne pas avoir fait lui-même les choses. Qui a besoin de sa sœur pour oser répondre à son âme sœur ? Qui est incapable de tenir une conversation comme n’importe qui ? Franchement, il s’épuisait. Il se trouvait ridicule. Il culpabilisait et… Il s’en voulait vraiment du mal qu’il était en train de faire à Joshua.

Il fit non de la tête, mais il n’était pas sûr que Josh comprenne ce qu’il essayait de lui signifier. Il voulait le revoir. Mais… En même temps, il savait comme il était. Il savait tout ses travers, et c’était égoïste que de faire subir ça à une âme sœur. Il ne voulait pas être un poids pour une personne de plus. Surtout si cette personne est connectée à lui… Ses émotions étaient difficiles à vivre pour lui, alors pour un autre ? Mais ce n’était peut-être pas à lui de prendre la décision pour eux deux.

Est-ce qu’il voulait qu’on le laisse tranquille ? Il n’en savait rien. Il voulait pas le voir partir sans avoir réussi à lui expliquer pourquoi c’était si compliquée comme situation pour lui. Ceci dit, cela devait être un peu désastreux du point de vue de Josh ? Il ne savait pas. Il n’arrivait pas bien à se mettre à sa place. Il récupéra son téléphone, et croisa son regard. Surpris par leur proximité. Il avait vraiment des yeux magnifiques. Les siens clignent un peu alors qu’il se faisait cette réflexion. A quoi il pensait là ? Arrête. C’est déjà assez compliqué.

“Pardon… ça… ça va…”

Il n’allait pas tomber dans les vapes. Pas encore. Il se connaissait. Il y avait par contre le stade transformation inopinée qui n’était vraiment pas loin. Et… Les mots de Joshua n’arrangeaient trop rien. Il voulait vraiment le revoir ? Vraiment ? Leur rencontre ne l’avait pas complètement vacciné ? Il n’avait pas peur d’être dans sa tête ? En quelque sorte ? Mais… Il allait partir et plus jamais revenir ? Non… Non. Pas comme ça. Pas sur un malentendu. Il voulait… Il voulait juste lui faire comprendre pourquoi… Pourquoi il était pas sûr d’être l’âme soeur idéale. Il voulait pas que Joshua pense que c’était lui le problème. Non.

“A…Attends… Jo… Joshua !”

Il le rattrapa et saisit son bras. Se surpassant en osant faire ça. Son coeur battait si fort. D’oser. De tenter de le retenir. D’essayer.

“R..R..Reste… Tu… Tu… C’est pas toi… J’an… J’angoisse pour tout… Et… Et… J’ai… J’ai du mal… à… à gérer… Mes émotions… Et… J’ai… J’ai… pas… envie de te faire re…ressentir tout ça… Mais… Mais… Je… Je veux pas… P…perdre la chance de… de… de te connaître… Et...”

Et ça faisait trop à gérer. Beaucoup trop. Il releva un regard paniqué vers lui. Il ne savait pas comment gérer. Et… Cet instinct qui lui hurlait de fuir, de se cacher. Et… C’était au dessus de ses forces de se contrôler. Il lâcha son bras, le souffle accéléré, hyperventilant presque. Il se recula et au fil de ses pas son apparence se mua en celle de son instinct. Cinq pas et au milieu de ses vêtements, le rongeur, presque empêtré dans son tablier. Il couina en réalisant ce qu’il venait de faire et… Il fila vers le petit placard ouvert le plus proche, se cachant entre les plaids à côté du canapé. C’était une vraie catastrophe….

Il n’eut le temps de faire que quelques pas avant que la voix de Léon ne l’arrête. Il n’eut même pas le loisir de s’appesantir sur le vif -trop vif- soulagement qui l’avait saisi alors que le pâtissier le retenait cette fois-ci, car il lui attrapa également le bras. Il portait des manches longues, donc le contact n’était pas peau à peau, mais il suffit toutefois pour lui retourner le cerveau en quelques secondes, recevant une vague d’angoisse mêlée d’une certaine détermination, et un grand frisson qui remonta toute sa colonne vertébrale. Une partie de son cerveau ne put s’empêcher de penser brièvement que la sensation devait être incroyable lors d’une relation plus intime, avant qu’il ne secoue la tête pour redescendre sur terre. Ce n’était pas vraiment le moment de s’adonner à ce genre de réflexion.

Il se retourna doucement, fixant son regard gris sur Léon qui tentait de s’exprimer malgré son souffle court, son bégaiement et son angoisse. Il n’arrivait pas à croire que sa simple présence l’effraie autant, le mette si mal à l’aise. C’était franchement déprimant, et sacrément mal barré pour la suite…
Pourtant il se concentra pour l’écouter, conscient des efforts et du courage que cela demandait au pâtissier d’ainsi exprimer ce qu’il pensait. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement de surprise à la fin de son discours. Il ne s’attendait pas vraiment à ce que Léon veuille le connaitre également, plutôt à ce qu’il lui explique qu’il n’était juste pas intéressé/pas prêt ou tout autre excuse qui suivait généralement un « c’est pas toi c’est moi ».

S’il n’avait encore rien dit, c’est qu’il s’attendait à une suite, vu que le jeune homme avait finit sa phrase par « et ».  Enfin, pas si jeune qu’il l’avait tout d’abord pensé, vu que Dakota lui avait annoncé qu’il avait 28 ans, bien qu’à le voir et à l’écouter, Josh n’avait aucune idée d’où étaient passées toutes ces années franchement.
Bref, il le regardait d’un air encourageant, lui laissant le temps de finir sa phrase, mais manifestement, Léon avait atteint son point de rupture. Les yeux écarquillés, le souffle si rapide que le loup s’apprêtait à bondir s’il s’évanouissait, il recula de plusieurs pas précipités.

Josh cru d’abord que sa vision lui jouait des tours, car il était persuadé de voir Léon rétrécir au fur et à mesure qu’il reculait, puis sursauta de surprise en le voyant se transformer. Une grosse boule de poils ressemblant à s’y méprendre à un lapin, dont la longueur des oreilles serait passée dans celle des pattes avant, se tenait au milieu des vêtements et du tablier du patissier.
Un couinement retentit, et il disparu dans un placard manifestement empli de plaid. Ouh, ça avait l’air sacrément confortable.

A la grande surprise de Josh, tout avait disparu. A la seconde où le corps animal de Léon avait pris le dessus, toute l’angoisse, la peur et la nervosité qui se jouait en trame de fond dans sa tête depuis qu’il avait mis les pieds ici, disparurent.
Il cligna des yeux un peu perdu, et tira une chaise pour s’asseoir. Il voulait bien être plutôt assuré en temps normal, ce diner sortait de tout ce qu’il avait jamais pu vivre. Ce qui, vu sa vie et son métier, en disait quand même très long.

Heureusement pour Léon et pour lui, la surprise et le choc l’avaient assez anesthésié pour que voir une petite proie poilue fuir à toutes pattes devant lui ne réveille aucun instincts lupins. Il savait se contenir, mais cela n’aurait pas été agréable de discuter pendant que son loup poussait pour venir joyeusement chasser la boule de poils. Comment Dakota avait-elle dit que cela s’appelait déjà .. Un Kara ? Un Gara ?
Il fronça les sourcils, prenant quelques secondes pour rechercher sur son téléphone un animal qui ressemblait à un lapin et qui venait de Patagonie. AH ! Voilà ! Un Mara. Il était pas loin.

Il leva les yeux vers le Mara qui se planquait toujours dans les plaids, mais dont la cage thoracique avait cessé de se soulever comme si elle allait exploser, grâce au petit temps calme qu’ils venaient de prendre tous les deux.
Il était sensé dire quelque chose non ..? Incapable de penser à quoique ce soit là tout de suite, Josh prit quelques secondes pour regarder autour de lui, et remarqua la table mise pour trois. Un sourire taquin aux lèvres, il jeta un coup d’oeil au Mara.



- Je vais partir du principe que ta soeur t’a prévenu au dernier moment, et pas que tu avais prévu d’inviter quelqu’un d’autre à diner avec nous hein ?

Il ne savait franchement pas ce qu’il faisait, mais avant de perdre de le contrôle Léon lui avait demandé de rester. Et ce serait mal récompenser son courage que de s’enfuir maintenant, juste parce qu’il n’était plus sous forme humaine. Il connaissait assez bien ce rayon pour savoir que ça ne changeait absolument rien à la personne à l’intérieur.
Aussi décida-t-il d’en prendre parti. Il se leva et avança dans la cuisine, jetant un coup d’oeil aux pommes, à la pâte sablée et au caramel brulé.

- C’était pour ce soir, ou juste pour t’occuper ?

Conscient qu’il parlait dans le vide, il avança vers les plaques de cuisson sur lesquels le repas préalablement préparé restait encore dans des casseroles couvertes. Miam, ça sentait drôlement bon. Il commençait d’ailleurs à avoir faim.
Sans savoir où il mettait les pieds, il commença à servir deux assiettes, prenant ses aises comme s’il était chez lui, babillant des commentaires à l’intention du Mara, lui faisant la conversation exactement comme il l’aurait fait à un humain. Dans sa tête, c’était la même chose. Son loup et lui n’étaient qu’une seule et même entité. Et concernant Léon, c’était dans le cas présent drôlement plus facile de le gérer à quatre pattes qu’à deux !

Il finit donc par ramener les assiettes à table. D’après une rapide recherche internet, les Mara étaient herbivores, et d’après ce qui sentait divinement bon dans son assiette, c’était végétarien dans tous les cas. Avec un peu de chance donc, il pourrait manger sous cette forme s’il le voulait. Il leur servit de l’eau à tous les deux, et ramena un peu de pain. Une fois assis, il se tourna vers Léon, lui faisant signe de le rejoindre.


- Viens au moins manger. Si c’est plus confortable pour toi sous cette forme, moi ça me dérange pas.

Il regarda l’assiette puis à nouveau le Mara.


- Sauf si tu préfères que j’aille te chercher autre chose à manger ? Je sais pas trop ce que tu manges sous cette forme ?

Il sourit, et décidant de lui laisser de l’espace pour faire son choix, commença à manger, complimentant Léon au passage. C’était vraiment délicieux !

Ne pas réussir à parler à Joshua, c’était une chose mais se transformer devant lui, c’était encore plus gênant. Sans doute oui. Tout allait de travers depuis le début, pourquoi ça s’arrêterait en si bon chemin ? Il se sentait idiot. Et ridicule. Il n’aimait vraiment pas qu’on le voit sous cette forme. Parce que… Parce qu’il ne la gérait pas du tout. Parce qu’à 28 ans, il se transformait encore malgré lui. Parce qu’il était un animal que tout le monde trouvait ridicule. Bref. Il resta planqué dans les plaids. Il se disait que c’était fichu. Après ça, Joshua allait partir. C’était pour ça qu’il sentait plus sa présence dans son tumulte d’émotions ? C’était étrange. Il reprit petit à petit son souffle, ses esprits aussi. Réalisant en passant le nez hors des plaids que Josh était bien encore là. Qu’est-ce qu’il faisait encore là ? Il avait pas vu assez de catastrophes ? Il voulait connaître quelqu’un comme lui ? Vraiment ? Il croisa le regard de l’autre garçon. Il pouvait difficilement lui répondre sous cette forme alors, il émit juste un petit “ouic” pour confirmer qu’il n’attendait personne. En fait, il n’avait juste pas pris le temps de ranger les assiettes prévu pour Lussi et leur mère.

Leon s’étonnait de voir son invité surprise aller dans la cuisine. Et poser des questions. Auxquelles il ne pouvait pas vraiment répondre. C’était étrange. Parce qu’en même temps, c’était bien plus simple de ne pas avoir à parler pour lui. Là, sous cette forme, il avait en quelque sorte un alibi. Il sortit timidement du placard, laissant sa tête en dépasser. Il observa Joshua revenir avec les assiettes. C’était surréaliste. Il commentait sa cuisine -qui semblait déjà lui plaire-. Et lui, restait prostré à demi dans le placard, ne comprenant définitivement pas ce qui se passait. C’était vraiment improbable.

Il resta encore quelques secondes immobile, à le fixer de ses petits yeux sombre, remuant un peu son petit nez. Il ne savait pas quoi faire. Ce serait impoli de rester caché. Mais… Il n’avait pas vraiment faim. La situation lui avait un peu mis l’estomac sans dessus-dessous. Déjà qu’il n’était pas gros mangeur. Et… Ce n’était pas plus confortable sous cette forme. C’était juste qu’il n’était pas sûr d’être capable de se retransformer. Pas tout de suite, du moins. Donc….

Il fit timidement un pas hors de sa cachette, reniflant l’air, ses oreilles bougeant un peu nerveusement. Puis il avança vers la table en petits bonds. Il sauta sans trop de mal sur l’assise de la chaise. Habitué aux courses-poursuites avec Lussi dans ce lieux. Il grimpa ensuite sur la table. Même si c’était pas très poli. Il renifla son assiette et mangea quelques légumes encore assez craquants. Histoire de ne pas rester sans rien manger. Il but aussi un peu dans son verre, et s’assit en face de Josh. Content de le voir apprécier ce qu’il avait préparé. Il émit un petit couinement joyeux. Il aimait qu’on apprécie sa cuisine. Même dans cette situation embarrassante, ça lui faisait plaisir.

Il finit par sauter de la table et alla dans la cuisine, réussissant à s’attraper un beau morceau de pomme qu’il s’amena sur la table pour manger vraiment avec son invité. C’était étrange et à la fois si apaisant pour lui. Que Joshua accepte si naturellement la situation, sa forme animale, son manque de contrôle. C’était vraiment doux comme moment. Mais… C’était compliqué pour communiquer alors… Il finit par descendre de la table et fila jusqu’à sa chambre. Il fallut deux bonnes minutes pour qu’il retrouve sa forme humaine. Il passa rapidement des vêtements et revint dans la salle à manger, restant un peu à distance, les mains cachées dans son pull trop grand dans lequel son corps se cachait.

“Désolé… Pour la transformation… Je… Je contrôle pas super bien quand… Quand je panique… Et… J’ai quelques angoisses sociales…”

Autant lui avouer ce qu’il avait déjà constaté, non ?

“Je… Je suis content que ma cuisine te plaise… Si j’avais… Enfin si j’avais su que tu serais là… J’aurai fait encore mieux…” dit-il avec un petit sourire. “La prochaine fois… Fau…Faudra que tu me dises ce que tu aimes manger…”

Il avança dans la pièce et ramassa les vêtements qui traînaient encore par terre, les pliant pour les poser sur un petit meuble. Puis il vint finalement s’asseoir en face de Joshua. C’était presque plus étrange encore sous cette forme. On aurait pu croire à un rendez-vous amoureux. C’était vraiment bizarre. Il termina son verre d’eau.

“J.. J’ai pas eu le temps…de faire le dessert… Et… Le caramel est raté… Mais… tu aimes les pommes ? Avec un peu de cannelle, elles… Elles sont encore meilleures !”

Petit sourire. Il était un peu plus détendu. Après tout Josh était resté avec un mara en face de lui presque tout le repas, qu’est-ce qui pourrait être pire ?

C'était vraiment très bon. Lui qui était quand même plutôt viande en général était bien surpris de trouver un plat végétarien aussi bon. Les légumes étaient fondants et croquants à la fois, relevés et goûtus. Bref, il avait englouti son assiette vitesse grand V, et se demandait à quel point c'était poli de se resservir quand un Mara sauta sur la table.
Tiens, manifestement, sa technique avait fonctionné, et Léon se sentait assez calme et rassuré pour se rapprocher. Josh eu un sourire attendri en regardant bouger ces petites oreilles et ce nez adorable. Il en profita pour observer un peu plus le curieux animal alors qu'il avalait quelques bouchées de légumes, et effectuait un aller-retour en cuisine pour grignoter de la pomme. Le couinement joyeux le surpris, mais il y répondit par un sourire, résistant à l'envie de caresser la boule de poils. Il avait dans l'idée que ce serait pas vraiment bien reçu. Ce qui lui fit penser qu'avec une personnalité aussi anxieuse et un alter-ego d'une proie, Léon n'allait pas être ravi de savoir en quoi il se transformait... Et probablement encore moins d'avoir le loup sous les yeux...

Un petit soupir lui échappa alors que le Mara filait à l'étage, et il en profita pour se resservir un peu de légumes, il avait encore faim. Il avait finis sa deuxième assiette lorsque Léon réapparu, sous forme humaine cette fois-ci, enfoui dans un pull trop grand comme une fille qui emprunte les affaires de son mec. Sans savoir si c'était à cause de la comparaison dans sa tête ou de l'attitude du thérian, Josh trouvait ça à la fois adorable et sexy, ce qui le perturbait un peu. Ses goûts masculins étaient certes variés, mais tendaient rarement vers le... délicat ?

La voix du pâtissier le sortit de ses pensées et il lui sourit gentiment, légèrement taquin.

- C'est ce que j'avais cru remarqué oui.

Il accentua légèrement son sourire.

- Ceci dit, je suis rassuré de savoir que c'est pas juste moi qui te met dans cet état, mon égo avait du mal à s'en remettre.

Il grimaça joyeusement pour ponctuer sa boutade qui contenait un grand fond de vérité. Il écarquilla encore un peu les yeux.

- Encore mieux ? Ca peut être encore meilleur ? Whoa, j'ai hâte de gouter !

Une étrange sensation poussa dans sa tête, et il se rendit compte que c'était de la satisfaction. Ce devait être la première fois qu'il recevait une émotion si positive de la part de Léon, et cela lui plaisait. Tout autant que de le voir sourire. Tant de progrès en si peu de temps, pourvu qu'il ne dise rien qui puisse inverser la tendance..
Il décida de répondre pendant que le thérian rangeait ses affaires et venait s'asseoir face à lui, dans un simili de repas qui ressemblait pour la première fois de la soirée à la un diner civilisé... et à un rendez vous.

- Euh, j'avoue que j'ai plutôt des tendances carnivores, que tu ne dois pas partager. Mais vu ton talent, et le goût divin du plat de ce soir, je suis prêt à manger des légumes à chaque fois que tu cuisines.

Il lui lança un sourire aussi éclatant qu'il était vif, puis hocha la tête.

- J'adore la cannelle, aucun problème. Tu veux que je m'en occupe ?

Il se voyait mal rester assis à se faire servir, aussi se leva-t-il pour se diriger vers le comptoir où se trouvait les pommes, quitte à être deux en cuisine.

- Oh, et ta mousse au chocolat était délicieuse au fait ! J'ai fini tout ce qu'il restait.

Il lui lança un regard en arrière avec un petit sourire en coin.

C’était difficile de ne pas remarquer qu’il avait des angoisses sociales. C’était aussi évident que son nez au milieu de la figure. Il se mordilla un peu la lèvre, baissant la tête.

“Oui… C’est… C’est dur de pas le voir…”

Il releva le regard, un peu surpris. Que ce soit lui qui lui fasse cet effet ? C’était vraiment une drôle d’idée. Mais… Comment avait-il pu croire ça ? C’était… Vraiment très étrange. Par contre, l’idée de l’avoir blessé, c’était terrible. Leon ne voulait vraiment pas faire de peine à son âme soeur. Vraiment pas. Au contraire sa fuite n’avait été motivé que par l’envie de le protéger de ses angoisses. Il avait l’air de comprendre maintenant ? Que ce n’était vraiment pas contre lui ? Il sourit, un peu désolé quand même.

“Je… Je voulais juste t’éviter… De ressentir cet état… Tout ça… C’est…C’est pas toujours la joie dans ma tête…”

L’honnêteté, c’était sûrement mieux ? Pour bâtir une relation saine. Quelle que soit la relation. Il ne comprenait pas trop ce que Joshua voulait mais… Il n’avait pas envie de le repousser. C’était peut-être la seule personne qui pourrait jamais vraiment le comprendre alors…

“Je crois ? C’est… Enfin… La cuisine, c’est ma passion… Alors… Je crois que… Je peux faire encore mieux ?”

C’était bien le seul domaine où il avait l’impression d’être vraiment doué. Même si c’était pas toujours facile à dire. Il assumait pas trop en fait, là. Il passa nerveusement une main dans ses cheveux qu’il n’avait pas encore rattaché. Il était un peu caché derrière toutes ces mèches folles qui revinrent aussi vite qu’il les avait repoussé.

“Oh… Je cuisine rarement de la viande oui… Mais… Normalement, je sais… C’est juste qu’on est tous végétariens dans la famille…”

Il pourrait quand même essayer d’en cuisiner pour lui. Il voyait les cuisiniers du restaurant le faire tous les jours alors… Il connaissait les gestes, les recettes, c’était pas si difficile de reproduire ce genre de choses. Il ne pouvait juste pas vraiment goûter. Il n’avait jamais aimé la viande et pour dire vrai, il risquait surtout d’avoir envie de tout recracher s’il goûtait maintenant !

“Que tu t’en occupes ? Oh… Non…Enfin… Si… Si tu veux…”

Et ils s’étaient retrouvés tous les deux au comptoir face aux pommes. Il n’était pas trop habitué à avoir un autre assistant que Lussi et encore même à sa soeur il ne savait pas trop déléguer. Il attrapa quand même une deuxième planche et un couteau qu’il tendit à son invité.

“Oh… Merci… Je pourrai… en refaire si tu veux… Et…Tu… Tu veux que je te montre… Comment faire une jolie découpe ?”

Pour lui, c’était facile… Il coupa rapidement une demi-pomme et l’incisa habilement pour la transformer en une jolie petite feuille. Il sourit à Josh. Et recommença, lui montrant cette fois bien plus doucement pour qu’ils puissent le faire ensemble. Et cela l’apaisait grandement de cuisiner. Son cœur s’était apaisé. Il appréciait le moment. Il finit par oser poser une question qui lui brûlait les lèvres.

“Tu…Tu es thérian toi aussi ? Tu… Tu as pas eu l’air surpris et… T’avais l’air de comprendre ce qui m’arrivait… Tu… Tu te changes… En carnivore ?”

Peut-être que sur les derniers mots, un peu d’angoisse était revenue. Parce que c’était un peu un sale coup du Karma si c’était le cas, non ?

Soit il s’habituait au fait d’avoir d’autres émotions en fond dans sa tête, soit il apprenait à mieux les discerner, ou alors leur lien s’amenuisait ? Dans tous les cas, il lui était plus facile de réfléchir et de faire le tri, voir d’oublier que certaines des sensations et émotions qu’il ressentait n’étaient pas les siennes. Flippant…

Léon s’expliqua sur sa -ses ?- fuite le soir de leur rencontre, et même s’il avait finit par comprendre, ses mots rassurèrent Joshua, faisant taire ses démons et quelques doutes qu’il n’avait pas réussi à chasser malgré ses efforts.
Il ne répondit pas mais hocha la tête avec un léger sourire, signe de sa compréhension. Ce n’était pas toujours joyeux dans la sienne non plus, mais le pâtissier n’avait probablement pas besoin de le savoir pour l’instant.
Il repartit ensuite sur le sujet de la cuisine, ce qui lui convenait très bien. Sa passion hein ? Il sourit avec enthousiasme et hocha la tête.


- Je te prends au mot, j’ai hâte de voir comment tu peux faire mieux !

Il sentit une certaine nervosité flotter jusqu’à lui et observa les mèches folles de Léon lui revenir dans les yeux malgré ses efforts. Avec un sourire amusé, il fouina dans sa poche de jean pour lui tendre un elastique.
Le questionnement dans le regard du jeune homme le fit se rendre compte de l’improbabilité qu’il ait cet accessoire sur lui vu sa propre chevelure, et il cligna des yeux avant de se justifier avec un sourire :

- J’ai une soeur moi aussi.

En vérité, ce n’était pas à cause de Merry qu’il avait pris l’habitude d’avoir toujours un élastique sur lui, mais bien à cause de Sigurd. Sa mâchoire se serra brièvement alors qu’il tentait de se dépêtrer d’une tempête de sentiments contradictoire qui voulaient le submerger à la pensée du beau blond. Heureusement pour lui -et pour la sanité d’esprit de Léon- ce dernier répondit à son commentaire sur la viande, lui permettant d’enchainer et de se raccrocher à l’instant présent.

- Oh oui, je comprends. Ne te sens pas obligé, tes légumes étaient très bons !

C’était un euphémisme, il s’était resservit ! Ni Merry, ni Dakota n’en auraient cru leurs yeux, et heureusement qu’elles n’étaient pas là pour le taquiner sur le sujet d’ailleurs.
Il suivit le thérian des yeux alors qu’il lui préparait ses outils de travail, et il hocha la tête à sa question, se concentrant sur les mains agiles du pâtissier.

- Whoa.. T’es super doué !

Il avait sculpté ce morceau de pomme en quelques secondes, avec la force de l’habitude et une habilité qui impressionnaient le loup. Il grimaça légèrement quand ce fut à son tour, et s’appliqua à suivre les consignes du pâtissier sans vraiment atteindre un résultat concluant. On ne pouvait pas vraiment dire qu’il était doué dans les activités manuelles, il avait rarement la patience et la finesse pour ça.
Toutefois, le moment était agréable, et la sérénité qu’il ressentait en fond de son esprit était pour lui grandement nouvelle de la part de Léon. Elle ressemblait beaucoup à celle qu’il obtenait quand il s’abandonnait à la danse.

La voix de son chef de cuisine retentit alors, le sortant de sa concentration, probablement au grand soulagement de cette pauvre pomme qui souffrait le martyr dans ses mains. Il releva les yeux pour croiser son regard à sa question, surpris de toujours ressentir ce frisson étrange lorsqu’il croisait les jolis yeux noisettes de Léon. Ce n’était pourtant plus la première fois.
L’anxiété qu’il voyait remonter sur le visage du jeune homme le fit hésiter un instant, mais il ne pouvait pas vraiment nier qui il était, et ne le souhaitait pas non plus. Son loup faisait partie intégrante de lui, et lui avait probablement sauvé la vie à de nombreuses reprises, métaphoriquement ou non.
Il hocha donc la tête plusieurs fois. Oui il était un thérian, oui il n’avait pas été surpris -merci Dakota-, oui il avait compris… Et oui. Il se changeait en carnivore. Et pas un petit…
Clignant des yeux, il remercia rapidement le Karma ne pas être un ours, ou il n’aurait pas donné cher de la survie émotionnelle de Léon à cette annonce.

Il ne savait pas s’il devait dire quelque chose ou si ses hochements de tête suffisaient. Il ne voulait pas vraiment que Léon pense que ça le gênait d’en parler, il s’en fichait vraiment. Mais il avait un peu peur de sa réaction. Il fut tenté de transformer seulement une partie de son corps, comme ses yeux, pour lui montrer, mais il ne voulait pas le terrifier au passage.
Il posa son couteau et son morceau de pomme torturé et grimaça.


- Je suis pas très doué je crois. J’ai massacré cette pauvre pomme.


Il ponctua sa phrase d’un petit rire. Ca ne changerait rien au goût mais c’était franchement pas très présentable, surtout comparé aux magnifiques sculptures qui s’alignaient sagement sur la planche de Léon.
Il fouina dans les placards pour trouver la cannelle et deux bols afin de préparer leurs desserts, et pendant que Léon dressait les bols il soupira légèrement avant de lâcher doucement, guettant la réaction de son âme-soeur :

- Je suis un loup.

Franchement il ne se reconnaissait plus, et se demandait où donc était passé toute sa confiance et sa nonchalance. Il ne savait pas ce qui chez Léon, le poussait à prendre autant de précautions et à s’inquiéter autant. Que ce soit le lien ou le comportement de ce dernier, il n’était pas vraiment sûr d’apprécier cette impression de retomber au début de son adolescence, dans l’esprit de ce jeune Joshua renfermé, incertain, peu sûr de lui et en proie aux multiples crises d’angoisses. Il pensait en avoir finis avec tout cela, et n’était pas vraiment ravi de se rendre compte qu’il s’était trompé.

Faire mieux qu’aujourd’hui, ce ne serait sûrement pas si difficile vu qu’il n’avait rien prévu d’exceptionnel. Cela ne lui semblait pas insurmontable. Loin de là. Et puis, en cuisine, c’était le seul domaine où il appréciait les challenges, le seul domaine où il n’était pas tétanisé par les obstacles, au contraire. Derrière les fourneaux, il se changeait en un vrai acharné, un guerrier, révélant des forces inattendues.

Leon repoussait encore ses cheveux quand Josh sortit un élastique de sa poche. Etonnant. Il avait les cheveux bien trop courts pour les attacher. C’était peut-être pour son travail ? Si une femme en avait besoin ? Ou pour sa copine ? Il avait une petite amie peut-être ? Il n’en savait rien en fait. Il ne connaissait pas grand chose de son âme soeur et là, ça lui sautait aux yeux. Ils ne se connaissaient pas du tout en réalité. Et pourtant il se sentait proche de lui. Sans doute à cause de leur lien ?

“Merci… Oh… Toi aussi…”

Il s'attacha rapidement les cheveux en un petit chignon pour empêcher les mèches les plus envahissantes de revenir sur ses yeux, mais certains y échappaient et tombaient encore sur sa nuque, dans une coiffure peu conventionnelle.

“Je sais mais j’aimerai quand même faire ce qui te plaît le plus ! Et puis, j’ai l’habitude de voir d’autres cuisiner la viande, je devrai quand même m’en sortir sans y goûter !”

Et puis, ça faisait un petit challenge. Mais c’était gentil de sa part de vouloir lui éviter ça. Et son commentaire sur son talent lui arracha un petit rire.

“C’est juste mon travail, tu sais… Je me suis entraîné… Pas mal de temps…”

On néglige trop souvent l’importance du travail. Il n’était pas né en sachant cuisiner. Il avait appris. Et c’était plus valorisant de savoir qu’on était devenu “doué” grâce à son travail plutôt que par un don du ciel. Il avait peut-être eu quelques facilités, mais à part un sens du goût développé, le reste, c’était des heures et des heures d’acharnement et de perfectionnisme. Il guida doucement son apprenti du jour. Pour une première, il ne se débrouillait pas si mal. C’était évident qu’il ne pourrait pas égaler ses années de pratique.

Il avait acquiescé à ses questions. Alors c’était thérian lui aussi… Et un prédateur ? Un frisson parcourut son don. C’était pas très cool de la part du Karma, ça. Mais… Ils n’étaient pas obligés de se transformer ? Non ? Après tout, il n’aimait pas se changer en mara alors… Ce n’était pas vraiment un problème, non ? Il essayait de se rassurer, et… Il tiqua en sentant une pointe d’angoisse mais… C’était pas la sienne ça. Il releva le nez.

“Oh ne t’en fais pas, faut s’entraîner pour y arriver bien, c’est un bon début !” le rassura-t-il avec un sourire.

Il arrangea leurs desserts dans les bols que Josh avait sorti, les saupoudrant légèrement de cannelle. Il s’arrêta en l’entendant parler à nouveau. Il releva son regard noisette vers lui. Un loup. Il frémit. Non. Son mara frémit. Mais Leon sourit doucement.

“C’est… C’est plus classe qu’être un mara…” souffla-t-il avec un petit sourire.

Il sentait une angoisse nouvelle. C’était étrange. Il avait été étouffé par les siennes si longtemps. Et là, il sentait celle de Joshua. Il hésita puis posa sa main sur celle de Joshua. Pour le rassurer.

“ça va aller… Je suis sûr que tu ne me feras jamais aucun mal.” dit-il doucement. “Et puis… Je cours très vite ! Donc… ça ira !”

Après tout, les Maras sont connus pour leur rapidité, autant que cela serve ! Il caressa une seconde de son pouce la main de Josh, puis il prit les deux bols, les amenant jusqu’à la table. Il s’assit en face de Joshua. Il releva le regard vers lui.

“Je… Je me transforme rarement de toutes façons… Alors… Ce n’est pas un souci… Je… Je risque juste… D’avoir un peu peur quand tu seras en loup mais… C’est… C’est pas contre toi, c’est juste… L’instinct, tu comprends ?”

Il ne s’attendait pas à rassurer un jour un loup… C’était quand même bizarre ? En même temps, leurs rencontres semblent vouées à être des plus étranges alors autant s’y faire, non ?

“Tu… Tu te transformes souvent ?” demanda-t-il un peu curieux.

Léon semblait tout de même avoir envie de tenter de cuisiner de la viande malgré son régime végétarien, aussi se contenta-t-il de sourire. Manifestement le challenge semblait plaire au patissier, aussi ne dit-il plus rien. De plus, il avait sacrément hâte de goûter !

Sa réflexion suivante le fit sourire, amusé, et il ne pu s’empêcher de répliquer :

- Beaucoup de gens ne sont pas bons dans leur travail, ça ne change rien à ton expertise. Même si on est d’accord que l’entrainement c’est la clé de toute maitrise !

Ils passèrent un moment sur leurs pommes respectives jusqu’à la question de Léon sur sa nature de thérian, et Josh’ ne put s’empêcher de laisser échapper un petit rire à la réassurance du cuisinier sur ses pommes. C’était très généreux de sa part vu l’état du pauvre morceau de fruit.
Malgré une surprise évidente, Léon lui adressa un doux sourire à sa révélation, et c’était plus positif et plus calme que ce à quoi il s’attendait.
Il faut dire que les réactions du Mara n’ont jusque là pas été très rationnelles ou posées, mais aussi que les situations de rencontre entre eux avaient été spécialement catastrophiques à chaque fois.

Un sourire amusé répondit à sa remarque, et il enchaîna.

- Moi je le trouve super mignon ton Mara !

Sa main se posa alors sur la sienne, un courant d’électricité curieusement agréable naissant au contact de leur peau. Il remonta jusqu’à sa nuque, lui causant un grand frisson alors qu’il tentait de concentrer sur les paroles de son âme soeur.
Il hocha doucement la tête et eut un petit rire.

- Il y a effectivement aucune chance que je te fasse du mal, mon loup et moi on a l’habitude de gérer nos instincts mutuels.

Son sourire s’agrandit, clairement taquin pour répondre à la suite de ses paroles.

- Pas égard pour ton coeur, on va éviter de mettre ta théorie de vitesse à l’épreuve hein ? Ce serait dommage que je me révèle plus rapide que tu ne l’imagines.

Il ne put s’empêcher de lui adresser un sourire de toutes ses dents, très fier de sa bêtise, dédramatisant volontairement la situation.
Ils allèrent s’asseoir à table et Joshua entama ses pommes, hochant doucement la tête. Il allait répondre une fois sa bouchée finie mais Léon enchaîna avec une question, à laquelle il hocha de nouveau la tête.

- Oui. Je passe beaucoup de temps en loup. Moins maintenant, mais je dirai au moins un bon tiers de mon temps, ça dépend des semaines.

Il sourit doucement, mâchant un second morceau de pomme.

- Il sera peut être quand même intéressant que tu te familiarises avec mon autre forme si on doit être amené à se revoir… Que tu sois au moins capable de me reconnaitre, et de pas paniquer en me voyant.
Même si j’essayerai de passer le moins de temps possible à quatre pattes en ta présence.

Le double sens de sa dernière phrase le frappa d’un coup, et il écarquilla légèrement les yeux, sentant un irrépressible fou rire monter dans sa gorge. Il n’avait quand même pas dit ça ..?!
Il cligna des yeux, se racla la gorge pour tenter de ravaler son sourire idiot et son rire, et décida plutôt d’enchainer avec une question pour rediriger la conversation.



- Pourquoi tu ne te transformes pas souvent de ton côté ?

Il sourit doucement, curieux lui aussi.

Super mignon, son mara ? Vraiment ? Il avait vu la même bestiole pas bien proportionnée et ridicule que lui dans son miroir ? Franchement, il n’arrivait pas à se trouver mignon. Du tout. Sans doute aussi parce qu’on lui avait plus souvent demandé ce qu’il était que dit qu’il était mignon plus jeune. Il trouvait le compliment un peu… étrange. En même temps, tout était un peu étrange avec Joshua alors, on était plus à ça près, non ? Comme ces sensations quand il prit sa main. C’était étrangement rassurant et en même temps, il sentit un frisson courir son échine. C’était à cause de leur lien ? Il ne savait pas trop. Ou c’était Joshua qui lui faisait juste de l’effet ? Après tout, c’était un très beau garçon ? C’était pas impossible que ça soit “juste” ça ? Il en savait trop rien… Il préférait pas trop penser à ça.

“Est-ce que tu dis ça parce que tu as peur que je te sème ? Un grand loup qui perd à la course contre un mara, ce serait aussi dommage, non ?” répondit-il avec un petit sourire.

Wow, wow, wow ! Venait-il de taquiner Josh comme il taquinait sa sœur ? Oui. Lui-même fronça les sourcils en s’en rendant compte. Mais… Ok. Il se sentait juste plus à l’aise ? C’était pas souvent qu’il se permettait de parler de son animal. Et pas souvent qu’il sentait que c’était en rien un souci. ça devait l’aider.

Il mangea sa pomme avec appétit. Et il écouta Josh avec intérêt. Il était surpris qu’on puisse passer autant de temps sous forme animale. Il se demandait ce qu’il y trouvait ? Leon avait toujours vu ses transformations comme des aveux de faiblesse alors sans doute que ça altérait son jugement sur les transformations en général.

En tous cas, Joshua proposait des choses extrêmement prévenantes et ça le touchait. C’était rare qu’on se soucie de lui comme ça. C’était plus souvent lui qui prenait soin de ses proches alors… C’était une sensation étrange et douce à la fois. Il sourit doucement. Ne comprenant absolument pas le sous-entendu de la dernière phrase au passage. Ne repérant pas même la gêne de son interlocuteur, se disant juste qu’il avait peut-être mal avalé un bout de pomme. Il lui servit un verre d’eau sans vraiment réfléchir, comme par réflexe.

“Non j’aime pas trop passer du temps à quatre pattes…” répondit-il naïvement à sa question. “Le mara est un animal vraiment craintif alors… Ce n’est pas toujours facile d’être transformé et gérer mes instincts de fuite…”


Et le rire de Josh le coupa dans sa réponse. Quoi ? Qu’est-ce qu’il venait de dire ? Il fixa Joshua un peu surpris. Il avait dit quelque chose de drôle ? Il regarda son âme sœur, perdu. Qu’est-ce que ?

“J’ai… J’ai dit une bêtise ?” demanda Leon d’un coup mal assuré, perdant la once d’assurance qu’il avait pu gagner ces dernières minutes.

Chassez les insécurités, elles reviendront au galop. On pouvait presque voir Leon se refermer. Comme ces fleurs qui se referment dès qu’on les effleure. Il se sentait d’un coup idiot. Il avait forcément dit une idiotie. Mais quoi ? Il ne voyait vraiment pas. Il ne comprenait pas. Ce qui le faisait se sentir d’autant plus stupide.


“Désolé…” bafouilla-t-il persuadé qu’il venait de dire quelque chose de nul.

- Est-ce que tu dis ça parce que tu as peur que je te sème ? Un grand loup qui perd à la course contre un mara, ce serait aussi dommage, non ?

Josh échappa un rire et rendit un sourire malicieux à Léon qui, s’il ne se méprenait pas, le taquinait avec entrain.

- Je serai bien tenté de te montrer le contraire, mais franchement, on sait tous les deux que tu risquerais de pas survivre si je t’attrape, même pour de faux.

Le pauvre Mara risquait de mourrir d’une crise cardiaque avant même que son museau ne l’ait touché. L’idée l’amusa et il ajouta, tout sourire.

- Est-ce que tu imagines si je devais expliquer la situation à Dakota et ta soeur ? « Euh bah on faisait la course, j’ai gagné, mais il a eu si peur qu’il a fait une crise cardiaque… Promis je l’ai pas touché ! »

Ils mangèrent leurs pommes en continuant la conversation, et Léon sembla passer totalement à côté du double sens de sa phrase -ou alors il avait eu la noblesse de pas relever- grand heureusement pour lui.
Son soulagement fut de très courte durée, car Léon répondit à sa question, en reprenant sa propre expression, et avec une telle innocence, qu’il ne put absolument rien faire pour retenir son éclat de rire.
L’air surpris et un peu perdu de Léon en rajouta une couche, et il hoqueta de rire alors que des larmes se formaient aux coins de ses yeux.

Son amusement et son fou rire furent toutefois de très courte durée. Dès le ton mal assuré de Léon, il commença à se calmer, comprenant que le pauvre thérian avait mal interprété son rire, et pensait qu’il se moquait de lui. Le temps qu’il se calme, Léon recommençait à bégayer une excuse, le visage refermé et inquiet.
Eh merde.

Il inspira à fond et secoua doucement la tête.

- Oh non, non, non s’il te plait, ne te sens pas blessé.

Il tendit la main pour serrer la sienne.

- Je ne me moquais absolument pas de toi !

Il lui adressa un doux sourire, plein de chaleur et de sincérité, pour appuyer ses paroles. Il récupéra doucement sa main, presque à contrecoeur, et entreprit de s’expliquer.



- Je suis désolé. Je te dirai bien que c’est une déformation professionnelle -et c’est en parti vrai-, mais j’ai également juste l’esprit très mal placé.

Il haussa doucement les épaules.  

- Je suis bi, et franchement, l’expression « passer du temps à 4 pattes » prend une toute autre tournure quand tu te tapes aussi bien des garçons que des filles.

Il grimaça joyeusement, empli d’autodérision.

- J’ai pas fait attention au double sens quand j’ai utilisé cette expression, et le fait que tu l’ai repris avec autant de détachement sans y faire attention toi non plus… C’est ce qui m’a fait rire.

Il sourit à nouveau, haussant les épaules avec une petite grimace.

- Je peux être un vrai gosse, je suis désolé de t’avoir blessé.

Et lui qui pensait qu’ils avaient enfin fait des progrès, il avait tout gâché… Il pouvait bien dire qu’il ne voyait pas où étaient les années de plus de Léon, mais là franchement, c’est lui qui s’illustrait dans toute son immaturité.
Idiot.

Peut-être que dans quelques mois, s’ils s’habituaient mutuellement à leurs formes animales, peut-être que cette fameuse course pourrait avoir lieu ? Peut-être bien. Leon se disait qu’avec beaucoup de patience, c’était probablement possible ? Après tout, il avait bien réussi à se contrôler devant le chien de Dakota, peut-être qu’il pourrait faire pareil et ne pas paniquer devant un loup ? C’était un projet qui pouvait se tenter. Cela nécessiterait juste beaucoup de temps.

“On va éviter d’annoncer ma mort, oui…. Ce serait un événement fâcheux, je crois.” dit-il en réfléchissant, un peu trop sérieux peut-être dans sa réflexion. “Mais si on m’habitue à ton loup, peut-être qu’on pourra faire cette course un jour !”

Peut-être que maintenant qu’on l’avait évoqué, elle n’allait plus quitter sa tête. C’était souvent le cas quand quelque chose piquait sa curiosité. Mais bon, pas au point de risquer une crise cardiaque pour. Il n’était pas complètement inconscient….

Et la suite l’avait complètement perdu. Le renvoyant à ces années à ne pas comprendre les blagues des autres élèves du collège ou du lycée. Il avait appris à rire en même temps que les autres pour se protéger un peu de ce genre de moment. Mas là qu’ils étaient que deux, il n’avait personne à copier et… Qu’est-ce qu’il avait bien pu faire ou dire de drôle ? Quelle idiotie ? Son cerveau était passé en mode panique sociale. Il fronça les sourcils alors que Joshua le rassurait. Si c’était pas lui, c’était quoi ? Il ne comprenait pas plus. Il fut surpris du contact sur sa main, mais ne s’en dégagea pas. Il devait sans doute s’habituer ? S’ils étaient âme-soeurs, c’était normal d’avoir ce genre de contact, non ?

Leon resta silencieux, essayant de se détendre mais il avait du mal sans vraiment comprendre. Alors il attendait les explications et… Il écarquilla un peu les yeux en entendant l’explication. Oh. Olala. C’était une blague en dessous de la ceinture ? Il n’avait vraiment rien compris. Il était très mauvais quand il s’agissait de repérer les blagues et plus encore à ce niveau. Il rougit instantanément. Olala. Il comprenait mieux son rire. Et en soi… Il avait aussi dit une idiotie.

“Je… Je fais pas très attention à ces choses-là… Je… Désolé… Olala, je voulais pas du tout dire quelque chose de déplacé…”

Rouge comme une pivoine, il regarda Josh. Et sa phrase lui fit froncer les sourcils.

“Les gosses pensent pas vraiment à ça… Alors… Enfin…”

Est-ce qu’il était vraiment en train de buguer sur le sens de sa phrase ? Oui. Il secoua un peu la tête. Ressaisis-toi Leon.

“C’est rien… Je… Enfin moi aussi je suis sortis avec des garçons… Alors j’aurai pu comprendre mais… Enfin comme on est pas forcément à quatre pattes, j’ai… j’ai pas fait le lien… Et puis j’ai pas fait ça si souvent que ça… C’était pas forcément des réussites quand je suis sorti avec ces garçons… Enfin… Y’en a eu que deux avec qui…Enfin… Pas forcément à quatre pattes…”

Et voilà, Leon s’était perdu dans son explication, s’embourbant dans les détails. Et les images de ses deux exs ne l’aidaient pas forcément à se concentrer. Pas de très bons souvenirs au final. Il n’était pas très doué pour ces choses-là. Ni à quatre pattes, ni pendant les repas romantiques.