Hanaelle Pennel - La vague de trop

De prime abord, Hanaelle est quelqu’un de spontané, d’impulsif et de jovial. En la voyant, on peut facilement penser que c’est une femme facile à aborder et sympathique, c’est sûrement pour ça qu’elle est efficace dans son boulot d’agent d’accueil. On peut aussi se dire que tout va bien dans sa vie parce qu'elle n'a pas l'air d'être du genre à se prendre la tête. En vérité, tout ça était surtout vrai avant son accident et même si cette fille est toujours là, aujourd’hui, elle est beaucoup plus taciturne.

Son accident a profondément ébranlé Hanaelle, elle a eu l’impression de se prendre une claque en plein visage et de découvrir la fragilité de la vie. Depuis, elle se sent comme brisée. Après avoir passé une bonne partie de sa vie à voyager et à nouer des relations superficielles, elle a l’impression d’être passé à côté de son existence, de ne pas avoir d’attaches réelles. Résultats, elle cache sa profonde détresse derrière des sourires factices, un peu de cynisme et surtout, elle noie tout ça dans des bars ou dans le lit d’inconnus.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Hanaelle n’est pas très douée avec son don et la raison pour ça est très simple : elle était bien plus intéressée par le surf que par les cours de magie. Du coup, elle se retrouve avec un niveau correct... mais ça, elle le doit surtout à sa mère. Elle aussi est une potioniste, et elle trouvait très important que sa fille maîtrise son don - même si cette dernière n’était pas d’accord. Un honteux système de chantage, du moins d’après Hanaelle, s’est donc mis en place : “obtient la moyenne et tu auras la planche que tu veux” et autre joyeuseté du genre. Aujourd’hui, elle est plutôt reconnaissante à sa mère d’avoir fait ça, tout en ayant un peu honte qu’elle ait eu à user d’un stratagème pareil parce qu'elle ne lui a pas rendu la tâche facile.

Le dernier accord du genre que Hanaelle a passé avec sa mère, c’était qu’elle aurait le droit d’arrêter les cours de magie une fois qu’elle aurait obtenu son diplôme de d’études secondaires - le bac quoi - ce qu’elle ne s’est absolument pas privé de faire ! Pendant presque dix ans, elle n’a pratiquement pas fait de potions, trop occupée qu’elle était à se consacrer à sa carrière de surf. Après son accident, peut-être pour se rassurer ou se raccrocher à quelque chose, elle a décidé de se tourner de nouveau vers la magie. En parallèle de sa formation, elle a pris des cours du soir pour se remettre à niveau. Aujourd’hui, il lui arrive de préparer quelques potions simples, notamment des remèdes anti-gueule de bois, franchement très utiles certains matins.

Si vous posez des questions sur Hanaelle Pennel aux gens qui l’ont connue quand elle était plus jeune, on vous décrira une fille qui avait la bougeotte, qui était toujours fourrée dans l’eau et ses professeurs vous diraient que c’était une élève plutôt appliquée quand elle s’en donnait les moyens - ce qui n’arrivait pas souvent. Certaines mauvaises langues pourraient aussi dire que c’était une petite snob, une fille à papa qui prenait les autres de haut. La vérité, c’est que Hanaelle était beaucoup trop obnubilée par le surf pour faire trop attention aux autres, en dehors de son cercle d’amis et de sa famille. Cette réputation de snob, elle en a hérité au collège, à cause de sa famille. Ou plutôt de sa mère, plus précisément, Hélène Pennel, une femme d’affaire qui a plutôt bien réussi. Forcément, quand on vit dans une grande villa avec vue sur l’océan, ça crée de la jalousie, mais la plupart des gens préféraient oublier qu’elle passait le plus clair de son temps dans la boutique de matériel de sports aquatiques que tient son père, Alexis et que la maison où elle vivait, il l’a eue par héritage.

Hanaelle avait cinq ans quand elle est montée pour la première fois sur une planche de surf. C’était un après-midi de juin et son père l’avait hissée devant lui, par un temps calme, parce qu’elle n’arrêtait pas d’essayer de s’aventurer trop loin dans l’eau. Elle a tellement aimé que pendant des semaines, elle n’a eu de cesse de tanner son père pour qu’il lui apprenne à surfer et, voyant qu’elle ne lâchait pas le morceau, il a fini par l’inscrire à des cours de natation pendant un an avant de lui offrir sa première planche. Sa mère a cru que ce serait une lubie passagère, ou encore un loisir comme un autre, mais c’est devenu une véritable passion pour la petite blonde. Il faut aussi avouer qu’elle était douée pour ça, très douée même. A tel point qu’au début de l’adolescence, elle a commencé à se faire remarquer dans les compétitions et que l’idée de passer professionnelle est devenue de plus en plus obsédante. Si elle pensait que son père - un ancien surfeur - approuverait la nouvelle, ses parents ont été catégoriques “passe ton bac d’abord !”, ce qu’elle a fait, mais en sport-étude.

Après avoir obtenu le précieux sésame à 19 ans - à cause du redoublement de sa seconde - Hanaelle a décidé de se consacrer à 100% à sa passion, malgré les recommandations de sa mère qui l’encourageait à passer un diplôme en deux ans “au cas où”. En guise de réponse, la jeune femme qu’elle était alors lui a ri au nez, sûre qu’elle n’en aurait pas besoin et que ce serait juste une perte de temps. Autant dire qu’elle l’a amèrement regretté huit ans plus tard… mais avant ça, elle a profité de sa vie. La première année a été un peu compliquée pour elle, surtout financièrement, mais elle s’est fait remarquer au cours de plusieurs compétitions et a fini par signer avec un sponsor. Ensuite, tout s’est enchaîné très vite : les compétitions, les voyages, les fêtes, les rencontres, les amis et bien sûr, les garçons.

Elle avait 22 ans quand elle a rencontré Kurt, sur une plage australienne, en septembre, à une fête où elle se trouvait avec des amis, ce qui ne l’a pas empêchée de passer la soirée avec lui. Le soir-même, elle l’a accompagné à son hôtel et prévoyait déjà de le revoir. Elle venait de fêter ses 23 ans quand elle l’a épousé, à Chesscross, contre l’avis de ses parents qui trouvaient que cette histoire allait beaucoup trop vite. Sauf qu’à cette époque, Hanaelle se contentait de foncer, de suivre ses envies, en étant certaine qu’elle n’aurait aucun regret. A la surprise de tout le monde, leur mariage ne s’est pas soldé par un divorce au bout de six mois, probablement parce qu’ils vivaient de la même façon, avaient les mêmes passions et n’étaient pas du genre à se prendre la tête. Ce qui n’a pas empêché des tensions de naître entre eux, mais au bout de trois ans seulement. Le problème ? La carrière de Kurt était sur le déclin alors que Hanaelle avait toujours le vent en poupe.

Et puis tout a changé le 18 juin 2018, alors qu’elle participait à une compétition locale. Peu avant de monter sur sa planche, Hanaelle s’est disputée avec Kurt qu’elle venait de voir embrasser une autre femme. Forcément, elle a manqué de concentration et ça lui a coûté cher alors qu’elle exécutait une figure compliquée. Il n’a pas fallu grand-chose, juste un appui mal assuré, et elle s’est retrouvée prise au piège des vagues, à se faire bringuebaler par le courant et sa planche. Quand l’équipe de secours l’a sortie de là, elle était inconsciente et perdait beaucoup de sang, sa tête ayant violemment heurté un rocher, et elle a immédiatement été conduite à l’hôpital de Chesscross, où elle est restée pendant presque deux mois. Le plus grave n’était pas sa blessure à la tête - même si elle lui a valu des points de sutures - mais sa fracture de la hanche. Il a fallu plusieurs opérations pour qu’elle soit de nouveau sur pieds, mais surtout plusieurs semaines de rééducation où elle a dû réapprendre à se déplacer.

Cet accident et ce séjour à l’hôpital ont été un tournant dans la vie de Hanaelle. En quelques semaines, elle a vu son monde s’effondrer : pour la première fois, son corps l’a lâchée, les médecins lui ont annoncé qu’elle ne serait probablement plus jamais capable de remonter sur une planche, Kurt est venu lui apporter les papiers pour le divorce et elle se sentait plus seule que jamais. Le seul soutien qu’elle a eu, c’était un gamin qui subissait lui aussi une lourde rééducation après une opération à la jambe. Quand elle a quitté l’hôpital, Hanaelle s’est retrouvée démunie : sans travail, sans logement, sans amis. Pourtant, elle n’a pas quitté Chesscross, parce qu’elle avait bien trop honte pour retourner en France, chez ses parents.

Pendant un temps, elle a squatté chez une de ses connaissances, jusqu’à ce qu’elle récupère l’argent de l’assurance pour son accident. Avec, elle a pu louer une petite maison en bord de mer mais surtout, financer une formation pour se réinsérer dans le monde professionnel. Ironiquement, c’est à cause de son accident qu’elle a trouvé ce qu’elle voulait faire de sa vie. Sans transfusion sanguine, elle n’aurait pas survécu à tout ça, ce qui l’a poussée à réfléchir et à s’intéresser aux modalités de don. C’est pendant ses recherches - elle n’avait pas beaucoup d’occupation à l’hôpital - qu’elle est tombée sur une formation permettant de devenir agent d’accueil à la maison du don et pour les campagnes de dons mobiles. Comme elle n’avait pas d’autres idées et qu’elle avait désespérément besoin de se sentir utile, elle s’est lancée là-dedans.

Aujourd’hui, elle s’épanouit à peu près dans son travail, même si parfois les journées sont longues, et elle est toujours à Chesscross, dans sa petite maison de plage. Contrairement à ce que les médecins lui ont annoncé, elle arrive à monter sur une planche de surf, même si ça reste compliqué et douloureux, mais elle est bien décidée à ne pas laisser tomber.